Course folle confiée aux aléas (4/4)

par Jean-Charles Vegliante. Lire le premier épisode, là le deuxième et là le troisième.

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Nice (et insistante)

Cette route dans la mer c’est une trace
double d’on ne sait quel géant de croisière
où des assassins tristes passent, sans voir
ce pourquoi ils ont payé des sommes folles
et s’ennuient entre eux hors classe économique.
Vus du ciel cimetière et port se ressemblent
(Valéry avait-il pris l’avion pour Sète ?)
comme nos vies si l’on sort du sarcastique :
Fasten seat belt while alive m’as-tu crié
trop tard la cabine s’était refermée,
nous étions démunis devant cette urgence
qui conspire à séparer, à nous vouloir
tels que nous ne serons jamais, à séduire
qui est prêt à prendre tout seul son envol.
____________________________– On se prépare
____________________________– à atterrir
____________________________– loin de votre air

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Vieux fou

Le vieil obstiné frotte sa jambe
de pantalon de plus en plus fort
Mais la tache était dans le tissu
dès son tissage à Chandernagor
Les pigeons l’observent et s’avancent
pour voir si quelque miette en a chu
Il les nourrit parfois sans patience
pour passer le temps dans ce jardin
désolé où personne ne vient
Personne à qui parler de sa vie
longuement solitaire depuis
qu’il a dû fuir sa région de l’Inde
De loin parfois l’imite un enfant
qui s’amuse de ses remuements

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Somnium

Un aveugle ailé te lit dedans, plus clair
qu’en un livre. Elle ne sait plus depuis quand
l’ombre et la lumière se sont confondues.
Dans la plénitude, on fait pause : Sèlah !
ta vie traversée d’ombremort est si frêle !
Dans la maladie, c’est trépignement fixe :
toute insouciance retirée là-bas
nous fait ce signe de loin : indéchiffrable.
Nous visitent des souvenirs mis en vrac
sur la commode du crâne où l’on s’ex-pose.
Non je n’ai que de rares bouts de soleil –
Est-c’ qu’en dormant si fort, papa, tu deviens
mon petit garçon, que je peux gronder quand
on jouerait ensemble ? est-c’ que tu te réveilles ?

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Fait divers

L’homme qui nettoyait les gouttières se tue en tombant du toit de la préfecture (LeParisien.fr, 3 janv. 2019)

Personne ne l’a vu tomber. Son corps gisait
sur le trottoir. L’entreprise qui l’employait
a reconnu le corps. « Sa société avait
un contrat de sous-traitance avec la maré-
chaussée pour le nettoyage des chenaux, dit
le directeur de cabinet du préfet. Si
la victime était précisément chargée d’y
nettoyer les gouttières, nul ne l’a vali-
dé. » La victime était âgée de 68
ans. On ignore les circonstances exactes
de sa chute. Les passants ont cru que l’appui
d’un laveur de carreaux avait reçu l’impact,
sans témoins de l’accident précise le haut
fonctionnaire. L’homme était seul sur le linteau.
____________________________– Au moment du drame
____________________________les passants passaient.
____________________________Nul parent ne clame.

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Invasions

Plusieurs groupes crient contre le ciel d’orage
leurs aigres querelles toutes accordées
à exclure les autres vies en voyage
vers les horizons où sombre la clarté.
Ce sont des mouettes de plus en plus osées
dont les vastes spires font comme un nuage
d’éclair menaçant au-dessus des cités :
les vols élégants cachent mal une rage.
Elles attaquent férocement l’oiseau
isolé que leur bec robuste fracasse
en plein ciel et pillent les nids des corbeaux.
Elles dérobent le goûter de qui passe
distrait parmi les jeux sous quelque préau
et ne craignent pas que l’enfant les caillasse.
____________________________– Mouettes goélands
____________________________– tels des rats volants
____________________________– hantent les passants

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Les nouveaux conquérants
_______________________(parodie respectueuse)

Comme un vol de jars faux à commande vocale,
assurés d’abonder leurs petits bas de laine,
ces beaux gosses d’enfer, jouant aux capitaines,
partaient, libres en rêve, héroïques, banals.

Ils allaient jouer gros en bit-coins sur la toile
sans savoir si le mur n’arrêterait leur vaine
course folle confiée aux aléas d’antennes
qu’un sort mystérieux leur prédisait fatales.

Chaque séance en bourse accentuait leurs tics,
car le phosphore n’aime pas l’arithmétique
et le sommeil manquait à des corps surmenés ;

ou bien, atterrissant enfin sur leurs semelles,
ils regardaient les autres cotes s’envoler
alors qu’au fond du trou ils quêtaient des rondelles.

(d’après J. M. de Heredia)

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Inscription
____________(In memoriam R. Nelli)

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________________Longo mai !

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