Pourquoi « Catastrophes » ?

Voyez ici qui fait quoi dans Catastrophes

On lit, dans un dictionnaire, à l’entrée Catastrophe : « Événement brutal qui bouleverse le cours des choses, en provoquant souvent la mort et/ou la destruction ». Voilà un nom qui peut sembler bien exotique, pour une revue de poésie, si l’on entend par « poésie » cette pratique qui ne parvient souvent à bouleverser que son auteur et/ou à précipiter la mort du genre. Entendons donc ce titre avec prudence, sinon un peu d’humour.

Il y a beaucoup de catastrophes. On court à la catastrophe. C’est la CA-TA-strophe.

La crise économique, la crise sociale, la crise écologique. La crise du modèle d’intégration. La crise de l’édition, de l’école. La crise de la littérature. Et la poésie ! La mondialisation. Quel désastre. Pourtant, il faut bien dire tout cela, le donner à voir, à entendre et à lire, le quadriller et le trouer de mots, de vers, de phrases autres que ceux et celles qui, impuissants d’avoir été pris pour argent comptant, les précipitèrent, ou en sont les fruits encore fumants. Une catastrophe : elle a brisé les tables de catégories, de valeurs.

D’un événement qui provoque la destruction, il ne devrait, en toute logique, y avoir qu’une occurrence. Apocalyptique. Catastrophes, avec son pluriel optimiste, publie des textes dont l’écriture travaille à la fois au bouleversement du cours des choses, et à la création, dans la voix, d’un autre-chose. Enfin, dont l’écriture travaille, d’abord. L’événement, quant à lui, viendra ou ne viendra pas : aucune assurance, le poème n’est pas une technique. Nous ne proposons donc pas d’art poétique, mais des séries : un tâtonnement, une fuite, un martelage, — résolus mais aveugles, catastrophés mais opiniâtres.

Il y a des catastrophes : le facteur Réel (comme un cheval) se rebiffe. Vient briser le miroir sans tain des mots de la tribu — il ne saurait s’agir de le lustrer, en leur donnant un sens plus pur. Mais l’éclater à coup de banderilles :  Vlam ! Boum ! Shebam ! Nous travaillons — nous apprenons à parler, des catastrophes.

Voilà donc une revue bimestrielle de création et de traduction, créée et dirigée par Laurent Albarracin, Guillaume Condello et Pierre Vinclair (qui, sauf mention contraire, sont aussi les auteurs des illustrations). Soigneusement concoctée dans un triangle improbable dont les coins seraient Paris, le Limousin et Genève, elle parle occitan avec l’accent suisse et le patois vaudois en verlan. Aux vents désordonnés du monde elle offre ses auteurs, enzymatiques, et l’aiguillage de ses traducteurs. Elle ne doit pas son titre à ce beau poème de Mathieu Bénézet :

CE QUE DIT UNGARETTI

Quelque poème que ce soit n’est pas
la poésie, mais toute vie
dans le monde, avec l’accen
tuation entre deux catastrophes,
avec le déchirement de la perte,
quand tu serres trop près
ton coeur Quand par compassion
tu as les mêmes bras
du nouveau-né Quand tu fais
la même erreur de parler
de la matière, de la réduction
du spectre Quelque poème que
ce soit n’est pas la poésie
mais l’abîme initial et final
entre deux fragments d’écrire,
la rupture de la strophe, la rupture
d’une seconde de ciel ;
les infimes particules qui répètent
toute chose dans le ciel.
l’illusion de demeurer grâce
à l’irréductible marge
de la voix humaine.

in L’Océan jusqu’à toi, Flammarion, 1994.