Lettre aux amis (3/3)

par Leontia Flynn.
Traduit de l’anglais (Irlande du Nord) par Paul Béhergé.
Lire la première et la deuxième section

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Extrait de Pertes et profits [Profit and loss, Cape Poetry, 2011] 

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Octobre a été un mois inquiétant.
Nous observions les banques trembler,
glisser, chuter, quand, à travers les mers,
la dette s’épandit en vaguelettes.
Auden et MacNeice de retour d’Islande
(j’y suis allé l’an dernier) n’auraient pas
cru que l’île deviendrait la vigie
du chaos : que ses paris financiers,
– alors même que fond la neige arctique –
gèleraient toutes ses liquidités.

Le problème était (je crois) que le prix
des maisons monta jusqu’au niveau où
des businessmen jugèrent les futurs
prix assez capitaux pour vendre à ceux
qui n’avaient rien, ce qui lors de la crise
mit non seulement ces gens dans la nasse
hypothécaire (en anglais : la ‘mort-gage’),
mais engendra aussi l’assèchement
des flux et (pour filer la métaphore)
entraîna le crédit dans son naufrage.

La concurrence est rude entre la guerre
budgétaire, l’effondrement bancaire,
et les coups à notre Mode de Vie
portés par la catastrophe imminente
d’origine anthropique, bien que rien
ne fasse le poids du deuil. (L’an dernier
j’ai lu La Route, Cormac McCarthy,
au soleil de Bergen. L’amour, l’espoir…
… et les cannibales. Bon Dieu, plutôt
me faire hara-kiri qu’y replonger…)

Les mots d’esprit de mon père ont quitté
leur nid, quoi que le voyant les bons jours
marcher, faire des choses, quand les mots
sont superflus, que j’oublie, eh bien, là,
tout va bien. Qui sait ? Le cœur qui se brise
face aux symptômes croissants du déclin
n’est pas le mien (abstraction bien utile…)
puis la bulle éclate : l’épaule brûle
(vaccin anti-grippe) et ça me reprend,
il me manque alors même qu’il est là.

D’autres bonnes nouvelles du pays
des sombres pronostics, où les gros titres
rivalisent de catastrophes ? Où
dans ce cauchemar de stress et nuits blanches
(Je parle ici de la maternité ;
jours usants comme des années, bataille
camouflée sous un brouillard de douceur),
par éclairs, ma morosité prend forme
sur les lampadaires/arbres/gouttières:
la pie solitaire me dévisage…

Ainsi songeais-je rentrant de l’EHPAD
en voiture sous un ciel bleu pervers.
Quoi ? La force de ma tirade aurait
vaporisé les nuages, causé
ce changement de météo brutal
à Belfast ? Voyez, les briques noiraudes
brillent de lumière dégoulinante,
dorée, céleste – et mon esprit s’élève
contre mon gré. (Je vérifierais presque,
post-déluge, s’il n’est une colombe…)

Colombe, olivier, rayon de lumière.
Qui aurait pensé qu’après tant de temps
les déclins déclineraient; que demain
est brillant et noir ? Que vieux mal de neuve
Energie trouve une réparation
– et sous son duvet siglé d’un ourson
ma petite fille dort calmement ;
elle a six mois. Le futur se devine.
Mon tas de vieilleries ira au feu ;
vies d’attente, parées au compromis.

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