Le vers triadique de William Carlos Williams

par Eleanor Berry. Traduit de l’anglais (USA) par Romain Candusso

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Le vers triadique de W. C. Williams :
Une analyse prosodique (1989)

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Le vers triadique ne constitue qu’une partie assez petite de l’œuvre poétique de Williams – deux livres des années 50, The Desert Music (à l’exception du long poème titre) et Journey to Love, ainsi que des bouts de Paterson V [1]. Les déclarations du poète sur l’importance de cette forme comme étant sa « solution au problème du vers moderne », l’ « aboutissement » de l’« effort » d’une vie, porté sur l’invention d’une forme nouvelle qui soit un équivalent aux formes du passé, ont néanmoins conduit à focaliser l’attention sur un tel vers – et sur le « pied variable » par lequel il devait être « mesuré » — d’une façon disproportionnée par rapport à sa représentation dans l’œuvre du poète. Malgré toute l’attention qu’elles ont reçues, cependant, il n’existe toujours aucun consensus quant à la nature du pied variable ni aucune analyse communément acceptée de la prosodie du vers triadique.

Interprétations du pied variable

Le pied variable fut considéré comme (1) une unité temporelle, toutes les marches d’un vers triadique ayant la même durée (Donoghue, Weatherhead, Breslin) ; (2) une unité basée sur l’accentuation, chaque marche du vers triadique ne contenant qu’un seul accent majeur (Duncan, Hedges) ; (3) une unité syntaxique, chaque marche du vers triadique ne formant qu’un seul syntagme ou une proposition complète (Solt, Hofstadter) ; (4) une unité de sens ou d’attention (Goodman, Hofstadter) ; (5) une unité de phrasé lors d’une lecture, les triades de lignes constituant la partition d’une performance (Wagner) ; et (6) une unité visuelle (Shapiro, Perloff, Sayre, Cushman). Chacune de ces interprétations existait déjà en 1969. Ces suggestions relativement concrètes et positives concernant la base du vers triadique en côtoient d’autres qui sont plus confuses et négatives (Miller, Guimond). Depuis leurs premières formulations, presque toutes ont trouvé de nouveaux défenseurs.

La confusion n’est pas aussi totale qu’on pourrait le penser au premier abord – elle est atténuée par le fait que les vues avancées ne se contredisent pas toutes mutuellement. Une formulation récente d’Emily Mitchell Wallace, bien que confuse, ébauche une sorte de réconciliation entre (ou une synthèse de) plusieurs des six points de vue. Elle décrit le pied variable comme « une unité du langage poétique qui est d’une longueur appropriée à l’intensité globale (stress) du son, du sens, de la forme typographique, et de ce “quelque chose’’ qui émerge de la tension entre les unités. »[2] L’interprétation du pied variable comme une unité fondée sur l’accentuation ne contredit pas son interprétation comme unité temporelle, si l’on prend en compte le principe d’isochronie. Selon Kenneth L. Pike, « les phrases anglaises sont prononcées avec de récurrentes accélérations entrecoupées de pauses plus ou moins longues ou de ruptures intonatives », et ces « unités rythmiques » tendent à se succéder de façon à ce que le laps de temps qui sépare le  de leurs syllabes proéminentes est à peu près uniforme. »[3] Les interprétations du pied variable comme unité temporelle et unité d’accentuation peuvent, à leur tour, se concilier avec son interprétation comme unité syntaxique si l’on accepte la généralisation de Pike d’après laquelle « les mots qui ont un lien grammatical très fort sont susceptibles d’appartenir à une même unité rythmique »[4]. Et l’unité rythmique de Pike est avant tout une unité de lecture, si bien que le pied variable compris comme unité rythmique au sens de Pike est à la fois une unité temporelle, une unité d’accentuation, une unité syntaxique et une unité de phrasé. La notion d’unité rythmique subsume donc les interprétations 1, 2, 3 et 5. On ne s’étonnera pas non plus de trouver une corrélation entre les unités syntaxiques ou les unités de phrasé et les unités sémantiques, si bien que ces interprétations ne sont pas seulement conciliables entre elles, mais aussi avec l’interprétation 4. Seule la sixième interprétation du pied variable comme unité visuelle ou typographique semble inconciliable avec les autres – du moins si l’on considère (comme semblent le faire Sayre et Cushman) que les divisions typographiques du vers triadique sont arbitraires par rapport à d’autres aspects de la structure du texte.

Interprétations de l’unité intonative[5]

Depuis les formulations de Pike en 1956, un corpus théorique considérable s’est développé sur l’intonation anglaise. La littérature sur l’intonation présente un fort parallèle avec le vers triadique de Williams. Dans un sondage publié en 1986, Elizabeth Couper-Kuhlen classe les théories des linguistes sur ce qui constitue l’unité fondamentale de l’intonation en (1) « théories  physiologiques », (2) « théories sémantiques/grammaticales », et (3) « théories phonétiques/phonologiques »[6]. Cette classification montre la même diversité et les mêmes genres de diversité que ce que nous avons trouvé dans l’interprétation du pied variable de Williams.

David Crystal décrit de façon phonétique/phonologique « l’unité tonale » comme consistant « au minimum d’une syllabe tonique, prononcée avec l’un des tons nucléaires (descendant, ascendant, etc.) et éventuellement précédée et suivie par d’autres syllabes qui impliquent différents degrés de proéminence de hauteur et de volume. »[7] Mais l’explication de Crystal en 1975 appartient à la fois à la seconde classe de Couper-Kuhlen, « sémantique/grammaticale », et à la troisième, puisqu’il soutient une corrélation entre intonation et syntaxe. Il crée même un diagramme pour segmenter les phrases en unités tonales à partir de la syntaxe.

En revanche, la position de Gillian Brown, Karen L. Currie et Joanne Kenworthy revient à peu près à dire que les marches du vers triadique de Williams ne sont que des unités visuelles ou typographiques. Ayant constaté qu’au cours des conversations spontanées, les phénomènes de pause et de hauteur entraient souvent en conflit dans la signalisation des frontières d’une unité intonative, et que le critère syntaxique/sémantique allait souvent à l’encontre de l’un des deux, voire des deux, elles conclurent en 1980 à l’impossibilité d’analyser la parole conversationnelle en unités intonatives (à cause de la contradiction entre les critères) et se sont rabattues sur une analyse en « unités définies par des pauses »[8].

Bengt Altenberg, dont les dernières recherches visent à développer un algorithme pour l’intonation de la parole synthétisée, a testé le diagramme de Crystal sur une analyse détaillée d’une « discussion lue, mais plutôt informelle »[9]. Altenberg s’essaie à synthétiser les différentes interprétations dans une quadruple définition de l’unité tonale comme :

  1. Une unité cognitive, qui consiste au maximum d’un concept nouvellement activé et (éventuellement) de concepts déjà actifs (ou en partie actifs) ;
  2. Une unité textuelle, qui consiste en une partie habituellement porteuse d’information nouvelle, éventuellement précédée par une partie qui porte une information donnée ;
  3. Une unité prosodique, qui se manifeste en tant que contour intonatif cohérent éventuellement délimité par une pause, et qui contient (notamment) un mouvement de hauteur saillant (le noyau), normalement en fin d’unité ;
  4. Une unité grammaticale qui contient au moins un syntagme ou une proposition, mais souvent une structure grammaticale plus expressive.[10]

Cette quadruple définition d’une unité intonative ressemble étonnamment à une synthèse des interprétations 2-5 du pied variable.

Il semble cependant que la quadruple définition d’Altenberg présente au moins une difficulté majeure – c’est que les quatre structures ne s’alignent pas toujours, voire ne s’alignent que rarement, hormis, peut-être, dans un discours en grande partie préparé. Couper-Kuhlen en conclut alors que « l’unité tonale est une unité de préparation du discours qui n’est pas entièrement sensible au critère syntaxique » puisque les locuteurs ne planifient pas toujours leurs énonciations en unités syntaxiques successives.[11] Couper-Kuhlen semble plus à l’aise avec une définition phonétique/phonologique de l’unité tonale comme une « portion d’énonciation qui comporte au moins une syllabe proéminente accompagnée d’un mouvement de hauteur saillant », dont les frontières « sont fréquemment accompagnées d’une forte pause », « [d’]autres indices articulatoires tels que l’allongement phonétique ou l’aspiration à la fin d’une unité tonale », et d’une « hausse ou d’une baisse audible d’un demi-ton en hauteur » par rapport la hauteur normale d’un locuteur pour le début d’une unité tonale.[12]

Alan Cruttenden identifie également plusieurs corrélats phonétiques des frontières des groupes intonatifs – la pause, l’accélération, l’allongement de syllabe, et le changement de hauteur ou de direction. Toutefois, conscient de l’ambiguïté des signaux des frontières intonatives dans une conversation spontanée, Cruttenden ne pense pas que la présence d’un ou plusieurs de ces traits phonétiques suffise à indiquer une frontière de groupe intonatif.  Si l’un des traits typiques des frontières « divise une énonciation en deux énonciations partielles dont une n’a pas la structure interne minimale d’un groupe intonatif », Cruttenden considère qu’il représente l’hésitation plutôt qu’une frontière de groupe intonatif. Cette structure interne minimale est faite d’ « au moins une syllabe accentuée » et d’« un mouvement de hauteur vers ou depuis au moins une syllabe accentuée. »[13]

Cruttenden a une approche de l’intonation qui peut être mise en parallèle avec le vers triadique de Williams. Son traitement de la pause, le premier des corrélats phonétiques typique d’une frontière d’unité d’intonation, s’applique particulièrement bien aux divisions à l’intérieur du vers et entre plusieurs vers. Cruttenden classe les pauses en trois groupes selon qu’elles ont lieu (1) « aux frontières d’un constituant majeur », (2) « avant des mots dotés d’un contenu lexical élevé… typiquement… avant la frontière d’un constituant mineur… c.a.d entre un déterminant et le nom de tête qui suit », ou (3) « après le premier mot d’un groupe intonatif »[14]. D’après lui, seule la première de ces pauses indique une frontière de groupe intonatif. Les pauses du second et du troisième type « ne sont pas considérées comme des marqueurs de frontières de groupe intonatif parce qu’elles ne produisent pas des segments d’énoncés qui sont tous dotés d’un accent de hauteur généralement contenu dans un groupe intonatif. » Les divisions des marches de Williams surviennent le plus souvent aux frontières des constituants principaux, mais certaines se produisent avant des mots (ou des syntagmes, ou des morceaux de syntagmes) ayant un contenu lexical élevé, et d’autres après le premier mot (ou les deux premiers mots) d’une potentielle unité intonative. Les deux derniers types de divisions semblent imiter le phénomène d’hésitation dans la conversation spontanée.

Les divisions des marches comme corrélats de frontières d’unités intonatives

Après avoir examiné la littérature sur l’intonation, nous constatons que les divisions dans le vers triadique de Williams délimitent généralement des unités syntaxiques / sémantiques qui, lors d’une performance du texte, pourraient être des unités intonatives, marquées par des pauses et contenant chacune une syllabe accentuée avec une interruption de hauteur. Il en résulterait une densité relativement élevée de divisions intonatives par rapport à une conversation spontanée, comparable à ce qu’Altenberg a trouvé pour une discussion en partie écrite. Crystal a avancé l’hypothèse que « les propositions et les phrases [étaient] les unités d’organisation du discours relativement informel et courant, tandis que les éléments de structure de la proposition étaient celles de situations plus formelles ou moins courantes. »[15] La diction, la syntaxe et le ton de la plupart des poèmes de Williams en vers triadique sont formels. En même temps, ils représentent souvent une énonciation hachée. Le passage suivant, tiré d’Asphodèle, utilise un langage formel qui représente un discours heurté, et son découpage correspond tout à fait à une division assez dense du texte en unités intonatives.

J’ai beaucoup appris dans ma vie
____ ____ dans les livres
____ ____ ________ et en dehors
sur l’amour.
____ ____ La Mort
____ ____ ________ n’en est pas le terme.
Il est une hiérarchie
____ ____ qui se peut atteindre,
____ ____ ________ je pense,
à son service.
____ ____ Une fleur magique
____ ____ ____ ____ est sa récompense ;
un chat qui aurait vingt vies.
____ ____ Si nul ne venait à l’éprouver
____ ____ ____ ____ le monde
y perdrait.
____ ____ Cela a été
____ ____ ____ ____ pour toi et moi
comme de regarder un orage
____ ____ avancer sur les eaux.
____ ____ ____ ____ Nous sommes demeurés
année après année
____ ____ mains jointes
____ ____ ____ ____ devant le spectacle de nos vies.
L’orage se déploie.
____ ____ L’éclair
____ ____ ____ ____ joue aux frontières des nuages.
Le ciel au nord
____ ____ est placide,
____ ____ ____ ____ bleu en son retrait
alors que l’orage se renforce.
____ ____ C’est une fleur
____ ____ ____ ____ qui atteindra bientôt
à l’anthèse parfaite. (CP2, pp. 314-315) [16]

Le statut des marches du vers triadique comme possibles unités d’intonation pourrait s’éclaircir en considérant des cas où Williams a divisé un texte similaire de différentes façons dans deux versions d’un même poème. Ces différentes façons sont de toute évidence des possibilités alternatives (parmi d’autres) de phraser le texte en question. Christopher MacGowan nous facilite cette comparaison en imprimant deux versions d’une grande partie du long discours de conclusion du berger dans la traduction que fait Williams de la première Idylle de Théocrite. Voici les débuts respectifs des deux versions du passage :

une vrille s’enroule
____ ____ joyeuse de ses fruits safran.
À l’intérieur
____ ____ est dessinée une femme
____ ____ ____ ____ d’une beauté
digne des dieux,
____ ____ vêtue d’une robe
____ ____ ____ ____ avec traîne,
ses cheveux en chignon
____ ____ coiffés d’un bandeau.

____ ____ et autour
____ ____ ____ ____ s’enroule
une vrille joyeuse de ses fruits safran.
Dedans
____ ____ est représentée une femme,
chef-d’œuvre divin,
____ ____ vêtue d’une robe
____ ____ ____ ____ avec traîne.
Ses cheveux
____ ____ sont confinés dans un bandeau. [17]

Le groupe nominal « as fair a thing as the god have made » (d’une beauté digne des dieux), avec sa proposition imbriquée et changée de rang (rankshifted), peut se dire comme seule unité intonative — comme imprimé dans la première version, ou comme deux, la division intervenant avant la conjonction – comme c’est le cas dans l’autre. La proposition « ses cheveux sont confinés dans un bandeau » peut elle aussi se dire comme une seule ou comme deux unités intonatives, la division pouvant se placer entre le sujet et le verbe ou entre le verbe et le groupe prépositionnel qui le suit – où la division intervient dans la seconde version. Les unités intonatives de la seconde version varient plus en longueur ; une réorganisation de la syntaxe ainsi qu’un redécoupage des lignes produit l’unité intonative « « Her hair is done up <confined by> a snood », dont la longueur inhabituelle attire l’attention sur l’image qu’elle présente et son langage descriptif. Étonnamment, le retour à la ligne qu’on s’attendrait le moins à trouver en frontière de groupe intonatif, celui qui sépare « sweeping » et « gown », est présent dans les deux versions. En le prenant comme un élément d’intonation, nous lui découvrons l’effet rhétorique de mettre l’accent sur l’adjectif « sweeping », qui ne l’aurait pas été dans le phrasé le plus probable, « dressed in a sweeping gown » (vêtue d’une robe avec traîne). Le placement des accents est, bien entendu, l’une des fonctions de l’intonation dans le discours.

Même avant qu’il ne lui forge le nom trompeur de « pied variable », Williams disait clairement que « l’unité de rythme » d’un texte n’était pas une question de nombre de syllabes ou d’accentuation (d’où la déficience du pied traditionnel, si on le prend à tort comme une unité rythmique pensée). Ainsi décrit-il l’unité de rythme, dans un tapuscrit sans date intitulé « Speech Rhythm »[18], dans des termes très proches de ceux que les linguistes utiliseront plus tard pour caractériser les unités intonatives :

Pour des raisons pratiques comme pour moi l’unité est d’une longueur convenable, telle qu’on peut la reconnaître au premier coup d’œil, c’est-à-dire la saisir ; elle devrait être à la bonne échelle comme disent les architectes…
L’unité de rythme est toute série répétée de longueurs et de hauteurs. Sur cet éther s’égrènent les sons dans leur variété…
Et c’est donc là qu’est la pierre angulaire de tout cela : bien que les sons de la parole, c.a.d. les mots, lettres, vers poétiques, etc., donnent du rythme à une passion, le rythme lui-même est une chose différente et sans son. Là-dessus les passions verbales égrènent des sons en s’efforçant d’atteindre l’image parfaite.
Ce qui est essentiel au rythme, ce n’est pas le son mais le mouvement, des deux genres, en avant et montant et descendant, la rapidité du mouvement et la qualité du mouvement.
Ainsi le nombre de sons dans l’unité rythmique ne lui donnent-ils aucune qualité de par leur nombre, mais seulement en tant qu’ils lui donnent du mouvement dans l’une des deux directions.[19]

Bien que cette explication ne soit pas parfaitement claire, elle reconnaît que le rythme est une question de phonologie supra- ou non-segmentale (« le rythme lui-même est une chose différente et sans son ») et d’expérience cognitive (« l’unité est d’une longueur convenable, telle qu’on peut la reconnaître au premier coup d’œil »). Elle reconnaît aussi que la durée et la hauteur (« le mouvement, des deux genres, en avant et montant et descendant, la rapidité du mouvement et la qualité du mouvement ») sont des traits pertinents pour percevoir le rythme et ses unités.

La correspondance entre les divisions des marches et les potentielles frontières d’unités intonatives dans des vers comme ceux cités produisent un mouvement régulier et plutôt solennel. L’affirmation de Thom Gunn selon laquelle les rythmes du vers triadique de Williams « sont aussi flexibles et variés que dans les meilleurs poèmes qu’il avait publiés » [20] ne semble pas justifiée de manière générale, surtout en ce qui concerne Journey to Love, où le vers est plus régulier que dans les usages antérieurs ou postérieurs de la forme. Kenneth Rexroth était bien plus près de la vérité lorsqu’il disait que la métrique du vers triadique « [s’écoulait] aussi régulièrement que de l’eau »[21]. Si Rexroth le disait avec approbation, les lecteurs prédisposés envers le Williams saccadé et irrégulier ne le verront pas du même œil. Ironiquement, l’effort de Williams pour trouver une forme plus libre que le mètre syllabique accentuel ne libéra les syllabes que pour restreindre le rythme, alors que les écrivains qui maitrisent le vers syllabique accentuel comptent leurs syllabes, mais préservent par là la variabilité de leurs rythmes.[22] Qu’il n’ait pas compris que la variété rythmique puisse être concomitante à la régularité métrique dérive probablement de ce qu’il suppose – communément – que le mètre, et plus spécifiquement la mesure du vers en pieds syllabiques accentuels, est un moyen (grossier) de contrôler le rythme du vers.

Tout comme le pied traditionnel est fait de syllabes toniques et atones possédant divers degrés d’accentuation, le « pied variable » de Williams est fait de marches de trois lignes qui constituent des unités syntaxiques de différents niveaux et fonctions grammaticales, et qui possèdent un nombre de syllabes très variable. Et tout comme les poètes peuvent s’écarter de la norme donnée d’un mètre syllabique accentuel par diverses « substitutions », comme dans l’inversion du premier pied dans un vers ïambique, les marches du vers triadique de Williams contiennent quelquefois plus d’une unité intonative. Ces lignes déviantes contiennent parfois deux unités d’intonation complètes, et parfois une plus une partie d’une autre. Quand les unités intonatives ne coïncident pas avec les marches, elles sont délimitées par la ponctuation. Le début du passage de Patterson II, dans lequel Williams a, rétrospectivement, découvert son « pied variable », et qu’il a par la suite republié sous le titre « The Descent », contient un exemple de marche déviante :

La descente nous attire
____ ____ comme nous attira la montée.
____ ____ ____ ____ La mémoire est une manière
d’accomplissement
____ ____ une manière de renaissance
____ ____ ____ ____ et même
une initiation, puisque les espaces qu’elle révèle sont de nouveaux territoires
____ ____ peuplés de hordes
____ ____ ____ ____ jadis inaperçues
d’une autre espèce
____ ____ puisque leurs déplacements
____ ____ ____ ____ ont pour buts d’autres buts
(même s’ils furent, en d’autres temps, abandonnés). (CP2, p. 245)[23]

La première marche du troisième vers triadique se poursuit après une virgule qui marque le début d’une proposition subordonnée finie, passe la fin d’une courte unité intonative faite d’un seul syntagme (un nom qui n’est modifié que par un seul déterminant), et va jusqu’à la fin d’une unité intonative inhabituellement longue (huit mots qui constituent une proposition potentiellement complète). La marche qui en résulte présente un contraste saisissant avec la marche précédente, une unité intonative d’un mot. Ici, l’effet de l’écart, qui fait suite à l’extrême opposé de la variation, est expressif ou mimétique : il représente l’apparition soudaine et inattendue de vastes espaces, et exprime la libération mentale et émotionnelle dont les « espaces » sont une métaphore. Dans une interview à la Paris Review, Williams parle de cette ligne (ou marche) en particulier en disant : « Vous avez vu comme j’ai tourné ce vers ?  J’étais tout excité de l’écrire.. »[24] Cet écart de sa norme métrique pourrait refléter son excitation au moment de la composition, et/ou il peut avoir été excité par l’écart lui-même.

Dans le vers triadique de Williams, en général, les possibilités de s’écarter de la norme sont bien moins exploitées que les possibilités de la faire varier de l’intérieur. La confusion critique sur la nature de la mesure qu’il a appelé le « pied variable » résulte peut-être en partie de ce que les deux paires de vers triadiques (respectivement les lignes d’ouverture de « To Daphne and Virginia » et de « For Eleanor and Bill Monahan ») qu’il a choisi de citer dans une lettre célèbre à Richard Eberhart où il s’est essayé à l’expliquer contiennent une marche déviante (SL, pp. 326-327). En lisant la première strophe de « To Daphne and Virginia » dans son intégralité, la déviation dans la troisième marche du second vers se révèle à l’évidence être exactement cela – une déviation :

La chaleur sent le buis
____ ____ quand nous animant
____ ____ ____ ____ un mouvement de l’air
remue nos pensées
____ ____ qui étaient sans vie
____ ____ ____ ____ jusqu’à une vie, une vie dans laquelle
deux femmes se tourmentent :
____ ____ vivre en respirant n’est pas autre chose.
____ ____ ____ ____ Deux jeunes femmes.
L’odeur de buis
____ ____ est l’odeur de cela auquel
____ ____ ____ ____ chacune participant séparément,
et pour soi-même,
____ ____ je participe aussi
____ ____ ____ ____ . . . séparément. (CP2, p.246)

Lorsqu’une marche typographique comprend plus d’une unité intonative ou une ponctuation, ce lecteur est enclin à lire / « entendre » une plus courte pause à la frontière de l’unité intonative que lorsqu’elle coïncide avec une division de vers / marche. Typiquement, comme ici, cette réduction de la pause, cette hâte vers la prochaine unité intonative suggère de l’excitation et a une fonction expressive et/ou mimétique.

« For Eleanor and Bill Monahan » est un cas plus problématique, car le poème n’inclut pas seulement une haute proportion de marches qui contiennent plus d’une unité intonative, mais aussi des passages avec des divisions de vers ou de marche qui isolent des éléments de classe fermée – prépositions, déterminants, pronoms – qui sont rarement suivis par des frontières d’unité intonative dans la parole.[25] Le passage suivant en est un exemple :

Il est des hommes
____ ____ qui au cours de leur vie
____ ____ ____ ____ jettent la prudence aux
orties et les femmes les louent
____ ____ et les aiment pour cela.
____ ____ ____ ____ Cruelles comme les griffes d’
un chat. (CP2, pp. 254-255)

Des fins de lignes comme celles de la troisième marche de chacune des deux triades complètes citées ici ne doivent pas plus que les deuxième et troisième catégories de pause de Cruttenden, être considérées comme marquant des frontières d’unités tonales. Ici, leur fonction principale semble être de casser deux clichés. Si un enjambement aussi fort, surtout sans fonction expressive apparente, était commun dans les vers triadiques, nous serions forcés de conclure pour ce cas-là à l’arbitraire de la forme.[26] Mais en l’occurrence, il est l’exception qui confirme la règle.

« Classique  »[27] décrit bien la majorité des vers triadiques de Williams. Cette épithète convient à un vers dans lequel les unités [prosodiques] correspondent à des unités intonatives lors d’une performance assez densément divisée du texte, comme celui du passage qui suit de « To a Dog Injured in the Street » (et, bien sûr, du poème tout entier) :

Je me souviens aussi
____ ____ d’un lapin mort
____ ____ ____ ____ gisant inoffensif
dans la paume ouverte
____ ____ d’un chasseur.
____ ____ ____ ____ Alors que j’étais à côté
et le regardais
____ ____ il saisit un couteau de chasse
____ ____ ____ ____ et en riant
le planta
____ ____dans les parties intimes de l’animal.
____ ____ ____ ____ Je faillis m’évanouir.
Pourquoi est-ce que j’y pense maintenant ?
____ ____ Les jappements d’un chien mourant
____ ____ ____ ____ je fais de mon mieux
pour les effacer.
____ ____ René Char
____ ____ ____ ____ tu es un poète qui croit
que la beauté a le pouvoir
____ ____ de redresser tous les torts.
____ ____ ____ ____ Moi aussi.
Avec invention et courage
____ ____ nous surpasserons
____ ____ ____ ____ les bêtes idiotes et pitoyables,
croyons-y tous,
____ ____ comme tu m’as appris à moi aussi
____ ____ ____ ____ à le croire. (CP2, p. 256-257)

Ici la variation est à la fois mimétique et expressive. Alors que la plupart des marches forment des unités intonatives de quatre à sept syllabes, deux sont de deux syllabes et une de dix. L’une des deux plus courtes et la plus longue arrivent l’une après l’autre au climax du passage – « le planta / dans les parties intimes de l’animal ». La brièveté de la première unité suggère une action à la fois soudaine et rapide ; la longueur de l’unité qui la suit nous force à passer rapidement les syllabes, comme on pourrait parler avec agitation, ce qui aide à convier la détresse émotionnelle du locuteur du poème à cet instant du souvenir. En dépit de son exploitation de plusieurs longueurs et de plusieurs structures syntaxiques des unités intonatives, toutefois, le mouvement général du passage reste monotone.

Afin d’éviter une telle monotonie, la variation de la longueur et de la structure des unités intonatives doit s’accompagner à l’occasion d’écarts par rapport à la norme d’une unité intonative complète par marche. La fin de « Shadows » y parvient très bien :

Ce qui ne nous laisse que les bêtes et les arbres,
____ ____ les cristaux
____ ____ ____ ____ et leurs surfaces réfractrices
et les choses en décomposition
____ ____ pour nous émerveiller.
____ ____ ____ ____ Excepté le petit
trou central
____ ____ de l’œil lui-même
____ ____ ____ ____ dans lequel
nous n’osons pas trop regarder
____ ____ sans quoi nous sommes perdus.
____ ____ ____ ____ L’instant
aussi trivial soit-il
____ ____ est tout ce qu’on a
____ ____ ____ ____ à moins – à moins
que les choses dont l’imagination se nourrit,
____ ____ le parfum de la rose,
____ ____ ____ ____ nous surprennent à nouveau. (CP2, p.310)

Le mouvement d’accélération et de ralentissement des marches courtes et des marches longues permet de varier le rythme ; le contraste entre la première et seconde marche du premier vers triadique cité est particulièrement fort. De plus, l’écart d’alignement entre le découpage des lignes et les divisions intonatives met en lumière les deux réserves (« Hormis… » et « à moins… ») du passage. Un retour à la ligne s’interpose entre deux adjectifs prémodificateurs, séparant « Hormis le petit / trou central » entre la dernière marche d’une triade et la première marche de la suivante, mettant par là l’accent sur l’élément différé (« trou central ») et sur l’image saisissante qu’il donne de la pupille de l’œil. Plus loin, la dernière marche du pénultième vers triadique balbutie, « à moins – à moins », et est suivie par une marche normale ; le flot rapide et fluide apporte un relâchement au blocage[28]. La forme suggère le mouvement de l’esprit du locuteur qui, d’abord, tâtonne, et finalement trouve une solution.

A nouveau, dans la conclusion de « The Mental Hospital Garden », un écart de la norme d’une marche du vers triadique se combine avec une variation sur celle-ci pour apporter plus d’expressivité. Notons la concentration d’unités intonatives extrêmement courtes dont sont faites plusieurs marches et, dans le dernier vers triadique, la séparation d’une brève unité intonative par la division entre la seconde et la troisième marche :

Le saint
____ ____ s’est délicatement retiré.
____ ____ ____ ____ L’une
enhardie,
____ ____ écartant le feuillage devant elle,
____ ____ ____ ____ se dresse en plein soleil,
seule
____ ____ protégeant ses yeux
____ ____ ____ ____ pendant que son cœur
bat la chamade
____ ____ et que son esprit
____ ____ ____ ____ absorbe
le plein sens
____ ____ de tout
____ ____ ____ ____ cela ! (CP2, p. 267)

Outre leur expressivité, les marches extrêmement courtes, combinées à l’enjambement déviant, permettent de différencier ce passage conclusif du reste du poème, ce qui en renforce la conclusion.

Frontières dans et entre les Triades

Nous avons jusqu’ici porté notre attention sur les marches ou « pied variable » qui s’associent par « trois, trois et trois » (CP1, p.285) pour former le vers triadique. Nous n’avons pas regardé s’il y avait des différences systématiques entre les premières, deuxièmes et troisièmes marches, ni considéré le statut de la triade entière en tant qu’unité structurelle.

Les fins de phrases coïncident généralement avec la fin de la troisième marche d’une triade à la fin d’une section, d’un long poème, ou à un endroit qui a une importance rhétorique particulière. Dans « To a Dog Injured in the Street » par exemple, quatre des cinq fins de phrases qui coïncident avec la fin d’une troisième marche marquent la fin d’un paragraphe de vers. Seule la marche qui consiste en une seule phrase complète, « I believe it also », y fait exception, et le fait que cette phrase se termine à la fin d’une triade, en plus de constituer une marche, met rhétoriquement l’accent sur la croyance qu’elle affirme. En outre, la pénultième triade du poème se termine sur ce qui est, grammaticalement, une fin de phrase, mais est ponctuée par une virgule, évitant le point là où il aurait été renforcé deux fois métriquement. Des huit fins de phrases restantes dans le poème, trois ont lieu à la fin des premières marches, quatre à la fin des deuxièmes (l’une delle, qui marque la seule autre fin de paragraphe du poème, n’étant pas suivie d’une troisième marche), et une a lieu dans une troisième.

Une telle différence de traitement dans la troisième marche est nécessaire au maintien de l’élan d’un paragraphe de vers. Lorsqu’une phrase se termine à la fin d’une première ou d’une deuxième marche, la poussée diagonale mène le lecteur aux marches d’après. À la fin d’une troisième marche, le lecteur a besoin d’une attente syntaxique qui le ramène à la marge de gauche – à moins qu’il faille un point final.

Dans les poèmes qui ont une quantité notable d’écarts par rapport à la norme d’une intonation complète par marche, les fins de phrases dans les troisièmes marches sont communes. Le début d’une nouvelle phrase, qui suit donc sur la même marche, génère une attente syntaxique qui ramène le lecteur à la marge de gauche. Dans la coda de « To Daphne and Virginia », trois des sept fins de phrases ont lieu vers la fin de la marche, et ne sont suivies que par un ou deux monosyllabes (en italiques en-dessous) qui commencent une nouvelle phrase :

Demeurant dans une vieille ferme
____ ____ à la campagne
____ ____ ____ ____ nous prenons le petit-déjeuner
sur le balcon à l’ombre d’un orme.
____ ____ Les arbustes qu’on domine
____ ____ ____ ____ sont négligés. Et
là, enfermé
____ ____ pour qu’il ne ravage pas le jardin,
____ ____ ____ ____ vit un jars qui
incline sa tête
____ ____ sur le côté
____ ____ ____ ____ et lève les yeux vers nous,
un compagnon très discret
____ ____ qui n’écrit pas de poèmes.
____ ____ ____ ____ Nous passons là de belles matinées
pendant que les oiseaux
____ ____ vont et viennent.
____ ____ ____ ____ Deux rouges-gorges
construisent leur nid
____ ____ pour la deuxième fois
____ ____ ____ ____ de la saison. Les hommes
contre leur raison,
____ ____ parlent d’amour, parfois,
____ ____ ____ ____ quand ils sont vieux. C’est
tout ce qu’ils peuvent faire .
____ ____ ou ils regardent un gros jars
____ ____ ____ ____ qui se dandine, pataugeant bruyamment dans sa flaque de boue. (CP2, pp. 248-59)

« Et », « Les hommes », « C’est » — ces débuts de phrase sommaires ramènent le lecteur qui veut la suite des phrases de l’autre côté de la marge. L’ouverture d’une subordonnée relative par le mot « qui » à la fin de la troisième marche de la troisième triade du passage permet de façon similaire de renouveler l’attente syntaxique là où il n’y en aurait pas autrement afin que le lecteur revienne à la marge de gauche. Des quatre fins de phrases qui restent, une se trouve en fin de première marche, deux en fin de deuxième marche, et une – qui clôt le poème – en fin de troisième. De plus, deux premières marches se terminent sur de possibles fins de phrases, avec un point précédé d’une espace, mais dans chaque cas, la phrase en question se poursuit à la ligne suivante. Si une telle ponctuation, à une fin de phrase possible, se trouvait à la fin d’une troisième marche, le double renforcement métrique de la frontière grammaticale et de la ponctuation en rendrait la continuation bien plus abrupte et surprenante que lorsque cette frontière est contrée par la poussée diagonale des indentations des deuxièmes et troisièmes marches.

Comme l’observe Stephen Crushman, « La fin de la troisième [marche] ne coïncide pas nécessairement avec la clôture d’un mouvement tripartite complètement contenu à l’intérieur de la triade. En fait, de telles triades fermées… sont rares. »[29] Que les phrases débordent des triades et tendent à se terminer sur les premières et deuxièmes marches plutôt qu’en fin de troisième compense la coïncidence de la plupart des marches avec des frontières de syntagmes ou de propositions, et donne au vers un élan et une direction qui lui manqueraient autrement. Crushman propose de prendre la triade fermée, dont chaque marche est une unité syntaxique, comme sorte de base (pas exactement une norme) à partir de laquelle mesurer la structure des autres triades, plus typiques, et fait remarquer que Williams utilise à une occasion au moins la triade fermée pour renforcer la clôture et le thème. Cushman cite en exemple la fin de « The Ivy Crown » :

C’est ainsi que nous le voulons
____ ____ et ainsi est-il
____ ____ ____ ____ au-dessus de tout accident. (CP2, p.290)

Mais même à cette position, Williams tend à éviter la triade fermée avec une unité syntaxique/intonative par marche. Il s’en prévient à la fin de « View by Color Photography on a Commercial Calendar », par un enjambement déviant dans la marche/triade précédente :

____ ____ où le soleil d’un après-midi
____ ____ ____ ____ de printemps
brille. Quelque chose ici
____ ____ a touché à sa fin,
____ ____ ____ ____ il s’est accompli. (CP2, p.291)

Notez aussi l’utilisation de la virgule plutôt que d’un point à la fin de la seconde marche de la dernière triade, ce qui augmente l’élan qui porte le lecteur à la toute fin du poème.

Les triades de Williams ne sont pas des strophes — son vers triadique ressemble à des vers et est arrangé en paragraphes de vers — mais elles ne sont pas exactement des vers non plus. Un vers divisé verticalement est un type de vers étrange. En outre, la perceptibilité d’un vers triadique en tant qu’unité de répétition dans la structure du vers est affaiblie par le fait que, contrairement aux quarks, les marches de Williams n’apparaissent pas que par trois. Certains paragraphes se terminent à la fin de la première ou de la deuxième marche, et le paragraphe suivant commence en début de ligne avec une nouvelle triade. Certains poèmes se terminent à la fin de la première ou de la deuxième marche. Il arrive, plus rarement, que des paragraphes contiennent des vers de deux marches (dans « Tribute To Painters » par exemple). Dans un poème dont les vers sans division sont approximativement égaux, un vers plus court et déviant ne viole pas l’intégrité du vers, mais là où le « vers » est divisé verticalement, l’occurrence d’une triade incomplète suffit à faire des marches des vers en eux-mêmes. L’occurrence d’un dimètre dans un contexte de trimètres ne menace pas d’atomiser le vers syllabique accentuel en pieds qui le constituent car c’est uniquement le vers, et non le pied, qui en est l’unité perceptuelle. Mais le « pied variable » de Williams est une unité de perception, une unité de mise en page, et, par norme, intonative – prête, en tant que telle, à affirmer son autonomie. La description la plus précise du format du vers triadique est celle que donne Williams lui-même dans une lettre de 1952 à Srinivas Rayaprol – « une assemblée de groupes de trois lignes » (SL, p.40).

Le Vers Triadique comme Forme Visuelle

Confronté à la démonstration que les marches du vers triadique – ou du « groupe de trois lignes » — de Williams sont, en règle générale, des unités intonatives, il est difficile d’être d’accord avec la façon dont Stephen Cushman lit la lettre à Eberhart : « Bien que Williams nous dise de compter les pulsations, ce qu’on compte, en fait, ce sont les vers. »[30] Ayant perçu la régularité d’un découpage des lignes fondé sur des unités intonatives, il est également difficile de dire avec Henry Sayre que « le seul aspect consistant de la ‘métrique’ de Williams est l’inconsistance métrique. » [31] En effet, Cushman et Sayre, tout comme Marjorie Perloff, démentent leur propre argument du vers triadique comme « inscription symétrique », doté d’une prosodie « visuelle »[32], où « l’effet général de la répétition du motif visuel » « fait passer chaque vers pour « une seule pulsation » — c’est-à-dire un seul mouvement d’yeux, et donc chaque unité visuelle pour égale aux autres unités… du poème »[33].

Cushman (comme nous l’avons dit) suggère donc de prendre le vers triadique fermé (ce qu’il appelle la strophe triadique), dans lequel chaque marche est une unité syntaxique, comme base sur laquelle percevoir et interpréter les autres relations entre la structure thématique et (selon ses termes) strophique.[34] La segmentation en unités tonales fut décrite en des termes sensiblement identiques comme « la mise en page grammaticale du discours »[35]. De même, en reconnaissant que les divisions entre les lignes individuelles du vers triadique de Williams se produisent à des « jointures naturelles », Perloff affaiblit sa position selon laquelle le vers triadique n’est qu’un cadre visuel.[36] Bien que Sayre ne perçoive pas la régularité non visuelle du vers triadique, il note du moins sa réalité non visuelle, et dit qu’elle « permet à la langue américaine de déterminer la forme plus ou moins « libre » des lignes individuelles »[37]. L’unité intonative est exactement cette unité de discours.

Néanmoins le vers triadique est une forme visuelle, même s’il ne l’est pas exclusivement. Ses traits visuels pertinents sont (1) la forme de marches descendantes produite par le motif d’indentation ; (2) la forme d’une « accumulation de vers » par opposition à une « organisation strophique »[38] ; (3) la forme d’un long vers (en dépit de la brièveté de nombreuses marches individuelles). Je parlerai de chacun tour à tour.

Bien que Williams l’ait utilisée comme une forme fixe dans toute sa poésie pendant un temps dans les années 50, il était évident que le vers triadique en escalier avait été créé pour une occasion poétique particulière au moment où il l’employa pour la première fois dans le passage de la « descente » de Paterson  – c’est une forme qui figure l’image d’une descente. Heureusement, un format de marches indentées convient à d’autres thèmes et à d’autres sujets qu’à celui de la descente (figurative ou littérale).

Alors qu’une succession de vers justifiés à gauche ne donne pas, en partie à cause de la conventionalité du format, l’impression d’une succession, un format qui crée une diagonale qui descend la page de gauche à droite pousse à prendre conscience de la nature successive de la lecture et de la temporalité du medium linguistique. Dans Asphodèle, où le texte représente une énonciation prononcée dans l’urgence, la mise en avant de l’aspect temporel du langage par le format prolonge l’emphase thématique :

____ ____ Il y a quelque chose
____ ____ ____ ____ quelque chose d’urgent
que je dois te dire
____ ____ et à toi seule
____ ____ ____ ____ mais qui attendra
que j’aie bu dans
____ ____ la joie de ton approche
____ ____ ____ ____ peut-être pour la dernière fois.
Et donc
____ ____ le cœur tremblant
____ ____ ____ ____ je la poursuis
continuant à parler
____ ____ car je n’ose m’interrompre.
____ ____ ____ ____ Écoute tandis que je parle
contre le temps.
____ ____ Ce ne sera
____ ____ ____ ____ pas long. (CP2, p. 311)[39]

Le temps est un thème de beaucoup de poèmes que Williams a écrit avec le vers triadique en escalier. Ce format leur convient du fait qu’il tend à faire du sentiment de temporalité une partie intégrante de l’expérience de lecture du poème.

De nombreux critiques ont appelé les triades en escalier de Williams des strophes triadiques, ou ont affirmé qu’il n’y avait pas de différence entre son vers triadique et ses tercets d’avant. Cependant, même en laissant de côté le fait que les vers de Williams dans les tercets, couplets et quatrains des années vingt, trente et quarante, et de nouveau dans les poèmes rassemblés pour la première fois dans Tableaux d’après Brueghel (1962), ne sont pas, en règle générale, des unités intonatives, mais coupent à travers la structure syntaxique du texte, son vers triadique est très différent de son vers en tercets (généralement court). Ils diffèrent surtout par la façon dont on les appréhende à la lecture. Les strophes ont pour le lecteur des unités nettes et closes ; les triades en escaliers groupées en paragraphes donnent l’impression de s’écouler continuellement. Réarranger un passage de vers triadiques en tercet revient à changer sa qualité de vers en modifiant la façon dont on l’approche à la lecture. Le passage suivant n’est donc pas un passage de « L’Acacia », bien que les mots et le placement des divisions soient identiques à ceux du poème de Williams (les divisions entre les marches ont été remplacés par des retours à la ligne, les divisions entre les triades par des sauts de ligne) :

Je suis aussi tenace que l’acacia,
une fois entré
dans le jardin,

on ne s’en débarrasse pas si facilement.
Déracine-le,
et qu’une infime radicelle

reste
voilà qu’il revient.
Je trouve

flatteur de me penser
ainsi. C’est aussi
risible.

C’est une modeste fleur,
elle ressemble à un pois de senteur rose,
mais on ne peut s’empêcher

de l’admirer
jusqu’à ce qu’on se rende compte
de ses habitudes. (CP2, p. 299-300)

Ce n’est pas seulement l’impression d’ensemble que crée la forme du texte sur la page, mais aussi l’expérience de lecture qui est altérée – les divisions du vers, et plus particulièrement des strophes, ressortent avec bien plus de force que les divisions des marches et des triades dans le vers triadique.

Le réarrangement ci-dessus, dans un contraste frappant avec l’arrangement réel de Williams en vers triadiques, attire également notre attention sur le troisième aspect visuel important du vers triadique : bien que, en particulier dans Journey to Love, les marches individuelles tendent à la brièveté (souvent moins de six syllabes), elles forment de longues lignes sur la page. L’apparence de longues lignes sur la page suggère, par convention, plus de sérieux dans le sujet et l’élévation du ton que celle de lignes courtes. Globalement, les sujets et le ton des poèmes de Williams en vers triadique remplit les attentes que leur format suscite. Nous pouvons cependant sentir une incongruité lorsque les sujets sont simples et/ou le ton léger. Dans ces cas, le sujet et/ou le ton semble jurer tant avec l’apparence visuelle du vers sur la page qu’avec son mouvement.

Le vers triadique et son decorum

Ce que Williams pensait du sonnet – en l’occurrence que tous disent la même chose – semble aussi valoir pour son vers triadique. Le mouvement relativement fluide et solennel qui résulte d’une grammaire de phrases complètes, souvent complexes, et divisées (pour la plupart) en unités d’intonation, combiné à de longues lignes, semble plus approprié à un poème méditatif, en particulier élégiaque, d’une certaine longueur. Le vers triadique est, comme l’a proposé Cushman, un « format élégiaque moderne »[40], et pas seulement un format élégiaque, mais une forme rythmique élégiaque.

Lorsqu’il est utilisé pour des petites saynètes ou des épiphanies de la vie quotidienne qui sont caractéristiques de l’œuvre de Williams à toutes les autres périodes, le vers triadique semble d’une lourdeur inappropriée. « The Artist », dans The Desert Music, et « A Negro Woman » qui ouvre Journey to Love, sont deux de ces épiphanies. Alors que le dernier verse dans la sentimentalité vers laquelle les derniers poèmes de Williams penchent souvent, le premier possède une acuité d’observation et une propreté de rendement qui caractérisent généralement les poèmes courts des œuvres du jeune Williams jusqu’à celles des années quarante. Quand on réarrange son texte en tercets, en remplaçant les divisions des marches en retours à la ligne et les divisions des triades par des sauts de lignes, le résultat ressemble, hormis dans sa relative régularité de mouvement, aux poèmes en strophes des années trente :

M. T.
tête nue
dans un maillot sale

ses cheveux dressés
de tous les côtés
se tenait sur la pointe des pieds

talons joints
les bras pour le moment
gracieusement

arqués au-dessus de sa tête.
Puis il se mit à tournoyer
à bondir

dans les airs
et par un entrechat
parfaitement maîtrisé

acheva sa figure.
Ma mère
surprise

dans la chaise roulante
où elle était assise
resta sans voix.

Bravo ! finit-elle par crier
en battant des mains.
La femme de l’homme

sortit de la cuisine :
Qu’est-ce qui se passe ici ? demanda-t-elle.
Mais le spectacle était terminé. (CP2, p. 267-268)

Notre changement de format donne au poème un air moins présomptueux du fait que les tercets de vers courts sont généralement associés aux vers légers ou « bas ». De plus, comme les divisions des strophes forment des interruptions visuelles plus fortes que le retour à la marge gauche lorsqu’on va de la fin d’une triade au début de la suivante, l’arrangement en strophes rend le mouvement du texte plus percussif que dans l’arrangement en vers triadique de Williams. Dans notre mise en page, les divisions des strophes qui interrompent la phrase feraient vivre au lecteur une expérience kinesthésique en apparence semblable à celle de Mr. T, qui saute et reste brièvement suspendu dans les airs, ou à celle de son audience. Le même enjambement a toutefois un effet très différent dans l’arrangement en vers triadique – une triade se jette dans la suivante sans tension particulière.

Si la forme du pied variable dans le format du vers triadique en escalier semble inappropriée au matériel quotidien et au traitement descriptif que proposent les poèmes courts caractéristiques de la première manière mature de Williams, elle est parfaitement adaptée au mode méditatif qu’il semble avoir découvert en même temps que le pied variable. Le passage de la « descente » ne constitue pas seulement une nouvelle direction pour Williams en versification. Le remplacement du détail littéral par la métaphore et de la présentation par la réflexion sont également nouveaux. La nouvelle versification réussit le mieux lorsqu’elle est conjuguée avec une méditation dans un langage métaphorique, sur un ton généralement élégiaque.

Asphodèle représente probablement l’aboutissement du travail de Williams avec le vers triadique. Méditation soutenue, dominée par le thème du temps, qui utilise un langage métaphorique et un ton élégiaque, elle réalise pleinement le potentiel de la forme. Mais Asphodèle est un long poème et, sans surprise, sa forme n’a pas la même nécessité partout. Un long poème implique une proportion de matériel relativement prosaïque ou, selon le mot de Stevens (que Williams trouve très critiquable), « antipoétique »[41], mais le rythme et l’aspect du vers triadique conviennent mieux à un sujet « poétique ». Un récit suivi ou un matériel descriptif est contraire à la forme, comme on peut le sentir en lisant tout le passage qui concerne l’épisode du métro dans le Livre Trois :

… Je vis un autre homme
____ ____ hier
____ ____ ____ ____ dans le métro.
Je me dirigeais vers le centre-ville
____ ____ pour une réunion.
____ ____ ____ ____ Il me regardait avec insistance
et moi de même :
____ ____ Il avait une vieille canne à pommeau
____ ____ ____ ____ entre les genoux
parfaite
____ ____ pour écarter les chiens,
____ ____ ____ ____ un homme d’environ quarante ans.
Il portait une barbe
____ ____ taillée en deux moitiés égales
____ ____ ____ ____ une barbe noire,
et un chapeau,
____ ____ un feutre marron
____ ____ ____ ____ plus clair
que son teint. (CP2, p. 327-28)[42]

La recherche qui aboutit à la découverte du pied variable et du vers triadique fut la recherche déclarée d’une forme ou d’une mesure qui pourrait porter plus de matériaux que les formes métriques traditionnelles. Ironiquement, le vers blanc et sa versatilité supportent mieux un tel poids de matière quotidienne que le vers triadique de Williams. Le vers triadique et sa relative uniformité de rythme n’est pas aussi touche-à-tout. Dans un long poème qui contient du matériel varié, la meilleure façon de l’utiliser est de le combiner avec d’autres formes de vers, comme le fait Williams dans Paterson V.

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[1] Cf. la lettre de Williams à Thirlwall, Selected Letters, ed. John C. Thirlwall (New York: New Directions, 1957), p. 334, et Paul Mariani, William Carlos Williams: A New World Naked (New York: McGraw-Hill, 1981), p. 689, pour fes perspectives sur cette phase, respectivement à son commencement et à sa fin. [2] Emily Mitchell Wallace, « A Musing in the Highlands and Valleys: The Poetry of Gratwick Farm, » William Carlos Williams Review, 8 (1982), 30. [3] Kenneth L. Pike, The Intonation of American English, Univ. of Michigan Publications: Linguistics, I (Ann Arbor: Univ. of Michigan Press, 1956), p. 34. [4] Ibid. [5] Une unité intonative est un segment de discours qui peut aller d’un mot à une phrase complète, qui contient un mot mis en avant par une accentuation ou un changement de hauteur dans la voix et se termine généralement par une pause ou un retour à la hauteur normale de la voix du locuteur. (N. d. T.) [6] Elizabeth Couper-Kuhlen, An Introduction to English Prosody (London: Edward Arnold, 1986), pp. 73-75. [7] David Crystal, The English Tone of Voice: Essays in Intonation, Prosody, and Paralanguage (London: Edward Arnold, 1975), p. 11. [8] Gillian Brown, Karen L. Currie, and Joanne Kenworthy, Questions of Intonation (London: Croom Helm, 1980), pp. 44 and 47. [9] Bengt Altenberg, Prosodic Patterns in Spoken English: Studies in the Correlation between Prosody and Grammar to Text-to-Speech Conversion, Lund Studies in English, 76 (Lund, Sweden: Lund Univ. Press, 1987), p. 19. [10] Ibid., p. 47. [11] Couper-Kuhlen, An Introduction to English Prosody, p. 153. [12] Ibid., p. 75. [13] Alan Cruttenden, Intonation (Cambridge: Cambridge Univ. Press, 1986), p. 42. [14] Ibid., pp. 37 et 39. [15] Crystal, The English Tone of Voice, p. 22. [16] Asphodèle suivi de Tableaux d’après Bruegel, trad. Alain Pailler, Points Seuil, 2006, p. 39 sq. [17] Les deux versions apparaissent respectivement dans CP2, pp. 490-491, n. 81, et p. 271. Sauf mention expresse, tous les poèmes sont traduits en français par Romain Candusso. [18] C’est peut-être une version ultérieure d’un essai manuscrit sur les rythmes de l’anglais parlé, « English Speech Rhythms », soumis (sans succès) à Harriet Monroe de Poetry en 1913. Mike Weaver l’a assez pertinemment décrit comme « l’affirmation à certains égards la plus claire sur la ‘mesure’ [de la part de Williams], bien qu’il n’utilise pas encore le mot » (William Carlos Williams : The American Background [Cambridge : Cambridge Univ. Press, 1971], p. 82) [19] Cité dans Weaver, William Carlos Williams, pp. 82-83. [20] Thom Gunn, « William Carlos Williams, » Encounter, 25 (1965), 74. [21] Kenneth Rexroth, « A Poet Sums Up, » rev. of The Desert Music, New York Times Book Review, 28 Mar. 1954, p. 5. [22] Ce qui ne signifie pas que le fait que Williams ait compté les unités intonatives plutôt que les syllabes et les accents ait absolument déterminé le rythme de ses vers et supprimé la possibilité de toute variation rythmique. Loin de là. Comme l’éclaircit bien Richard Cureton dans un compte-rendu du livre de Cushman, les unités intonatives ne représentent qu’un niveau de groupement rythmique dans un texte ; les lecteurs « morcèlent » les textes en unités équivalentes à bien des niveaux supérieurs comme inférieurs (revue de William Carlos Williams and the Meanings of Measure, William Carlos Williams Review, 12, No. 2 [1986], 38). Il est intéressant de noter que Williams semble avoir été conscient de la nature multiple du rythme puisqu’il utilisait pour en parler une imagerie qui convoquait cet aspect : « Chaque texte, rythmique en son ensemble, est … en substance un assemblage de marées, de vagues, d’ondulations – bref, de particules rythmiques plus ou moins grandes qui se répètent ou se détruisent régulièrement » (cité par Weaver, William Carlos Williams, p. 82). [23] Paterson, trad. Y. di Manno, Corti, 2005, p. 86. [24] Stanley Koehler, « The Art of Poetry VI: William Carlos Williams, » Paris Review, 8 (1964), 110-51; rpt. Writers at Work: The Paris Review Interviews (New York: Viking, 1967), p. 11. [25] Bengt Altenberg a trouvé, dans le discours en partie scripté qu’il a analysé, des unités tonales d’un mot comprenant « des initiateurs de propositions, en particulier et et parce que » (pp. 39-40), et une occurrence de proposition complément du sujet dans laquelle la cassure de l’unité intonative avait lieu après la subordination que, plutôt qu’avant. (Prosodic Patterns in Spoken English, p. 62). [26] Voir mon article « Arbitrary Form in Poetry and the Poetic Function of Language, » In Memory of Roman Jakobson: Papers from the 1984 Mid-America Linguistics Conference, ed. Gilbert Youmans and Donald M. Lance (Columbia, Mo.: Univ. of Missouri-Columbia, 1985), pp. 121-34. [27] Williams utilisa le terme « classique » en 1962  pour exprimer son mécontentement à l’égard de la versification de « The Orchestra ». Il dit à Stanley Koehler : « Ça ne fonctionne pas. Ça serait classique si les vers étaient découpés correctement. » (Koehler, « The Art of Poetry VI », p.11). [28] Ces deux divisions déviantes du vers survinrent avant des mots dotés d’un contenu lexical élevé – l’un des deux types d’endroits où Cruttenden constate que les pauses n’ont pas le statut de marqueurs de frontières d’unités intonatives. [29] Cushman, William Carlos Williams and the Meanings of Measure, p. 37. [30] Ibid., p. 85. [31] Sayre, The Visual Text of William Carlos Williams, p. 87. [32] Cushman, William Carlos Williams and the Meanings of Measure, p. 79 et 84. [33] Sayre, The Visual Text of William Carlos Williams, p. 88. [34] Cushman, William Carlos Williams and the Meanings of Measure, p. 88 (je souligne). [35] Altenberg, Prosodic Patterns in Spoken English, p. 27. [36] Perloff, « To Give a Design » p. 182. [37] Sayre, The Visual Text of William Carlos Williams, pp. 84-85. [38] Paul Fussell, Jr., Poetic Meter and Poetic Form (New York: Random House, 1965), p. 135. [39] Asphodèle suivi de Tableaux d’après Bruegel, op. cit., p. 39 sq. [40] Cushman, William Carlos Williams and the Meanings of Measure, p. 92. [41] Mariani, William Carlos Williams, pp. 339-40. [42] Asphodèle, p. 30 sq.

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