Le Cervelet (2/2)

Par Victor Rassov. Lire ici les chants 1 à 5.

.

.

6. 

Ainsi vient l’usure et avec l’usure. 

L’arrondissement de la hure et avec ça.

L’avachissement des tempes auquel succède. 

La maigreur du regard laquelle étrille. 

Les pupilles jusqu’au strabisme jusqu’à. 

L’enfarinement complet de la face par superposition des masses.

Par empilement successifs des mirages faciaux, je veux dire. 

Et contamination. S’ensuit la contamination. 

L’inexorable avancée des soubresauts vers le moyeu du sujet Cervelet.

Des grappes de soubresauts, des chapelets d’ondes de choc à la file, oui. 

Dru dans le moyeu, tout ça. 

Sur un mode cataleptique dont il ne nous dit rien encore, le Cervelet.

Force nous est de constater son arc-boutement. 

Un cas de réfraction. 

De tétanie circulaire et gravissime. 

Ou une simple tentative de suicide par court-circuit dans la moelle hasardeuse.

Dans la moelle du hasard, je veux dire. 

Qu’on m’apporte mes pinces coupantes. 

Ma scie, ma hampe, mes électrodes. 

Ma bétonnière, mon fil à désenchâsser les cristaux.

Je vais vous le rafistoler, celui-là. 

Un coup de maillet dans la soupape. 

Un soupçon d’iode pour prévenir les gonflements inopinés. 

On oint. 

On pousse. 

On tire. 

Il est debout. 

.

.

7.

Lame immense. 

Revers de mer.

Lame immense laisse à nu le fond de la baie. 

Sphéromes, caprelles, lamellibranches. 

Homards surpris au vif de leurs manigances. 

Obscénité de l’Apparition. 

Secret violé de l’Apparition. 

Paradoxe de l’immobilisme dans la prime obscénité du jour. 

Sécrété par l’Apparition, par le noyau fissile de l’Apparition.

Le Cervelet fixe. 

Droit la courbure arrêtée du moment.

S’octroie quelques secondes d’existence bacillaire dans les corridors du fracas. 

Sous lame immense. 

Saupoudré de plancton phosphorescent. 

Admire le ventre de la vague, le Cervelet.

Entre en sommeil avec la respiration des eaux dressées. 

Entre en conversation somnambulique avec l’Apparition.

Grincement du jaillissement, grincement du croisement des jaillissements. 

Chevrotement des auras.

Du Cervelet, de l’Apparition. 

Entrent en turbulente gestation. 

Leurs panses pressées l’une contre l’autre. 

Ruminent de bruits de ruine. 

Et ça vibre et ça vagit là-dedans. 

Leurs embryons respectifs se gobergent insensensément. 

Panses immenses. 

Culminant du nombril. 

Sphères à l’extrême tendues. 

Énigme imperçue du moment. 

Goût prononcé des langues qui se retournent dans les bouches. 

Et enfin l’éclatement. 

.

.

8.

La vague lui accouche en plein Cervelet.

Des millions d’enfants qui fondent. 

Des millions d’enfants momentanés. 

Lui tancent le mufle, lui tannent le cuire, se prennent dans la trame de sa barbe. 

Le laissent agenouillé dans le gué saumâtre. 

Où les crevettes prononcent l’extase. 

Entonne le plain-chant de l’extase. 

Du Cervelet. 

Comme à nouveau se fluidifie la pulsation. 

Comme le sang boueux du Cervelet se délaye dans l’eau de mer.

Lui perle aux commissures un liquide précisément nacré. 

Jus d’huitre ou sève.

Et bientôt l’écume glandulaire, précieuse ainsi que celle du cachalot. 

Compose à l’aplomb des naseaux une défense importante. 

Le Cervelet devenu narval dans l’extase.

Tout excroissances, tout sommets. 

Devenu rampe de lancement dans l’extase. 

Tout ascendance chromée, tout brillante raideur.

Se jette au ciel du bout de lui-même. 

Prend la forme d’une chute. 

Diaprée de millions d’enfants fauves. 

Une boule d’eau solide et presque oculaire. 

Sans cesse ramenée à sa sphérité. 

Travaillée par sa houle même. 

Les enfants, fœtus indistincts des mollusques, jaune d’œufs crevés ou siamois. 

Retombent en scories charbonneuses dans leur lit. 

Assomption terrible du Cervelet. 

Laquelle ménage un vaste puits. 

Un vaste puits de bruit. 

Une fosse d’orchestre prise d’assaut par les xylophones. 

Un assassinat sonore. 

La baie carillonne. 

.

.

9. 

Douloureux froissement des algues. 

Singulière espèce de froissement que le froissement aqueux. 

Comparable à la colère du violoncelle. 

Aux nuisances mille fois amplifiées que causeraient le viol d’un très innocent transistor. 

Impression que, vraiment, l’on nous trifouille le rachis. 

Que, sans blague, l’on nous y fouaille à coup de pelle à tarte. 

Les oiseaux seuls semblent s’être frayés un passage vers la sortie.

Maudits soient-ils.

Les mauvais présages s’accumulent grossièrement. 

Comme si nous ne nous doutions pas que le monde venait de chanceler sur sa base de néant.  

Un brelan de sombres évidences, maintenant, dans le ciel. 

Nul besoin d’être sourcier ou, que sais-je, de vieille souche océanique.

Pour émettre son diagnostic. 

Morne déliquescence. 

Caducité générale. 

Alors quoi ? 

Prendre son mal en patience et le pendre à son cou ? 

Végéter encore un peu dans sa crevasse ? 

Se boucher les oreilles, se distendre le péritoine, se repeindre la plèvre en attendant que ça passe ?

Impossible.

On nous secoue comme des pruniers. 

Amputés, dévidés, projetés contre les parois de la grande cloche. 

C’est donc peut-être à nouveau l’enfer. 

Mais qui va là ? 

Une ampoule qui crépite derrière un nuage gorgé de pluie. 

Une baudruche qui zigzague maintenant dans le brouillard. 

Ne doit pas peser bien lourd à présent. 

Le malgrâcieux qui va s’échouer sur nos côtes.  

Ne doit pas faire le malin. 

Le Cervelet. 

.

.

10.

Second chant. Chant de la chute et du déchirement. Chant de la brèche ouverte dans la cage du temps. Le Cervelet s’accompagne d’une harpe invisible et d’un grattoir.

Je chois de biais. 

En travers tout. 

Atterrirai-je un jour sur ce coin de tête qu’on appelle le rivage ? 

Amerrirai-je en plein visage ? 

Sur mes rotules de coton. 

Je vrille à une allure incommensurablement lente. 

Je vous donne l’impression d’un astre mort.

Ennuyeux comme le soleil. 

Et pourtant je panique. 

Je hurle à m’en coincer le parachute entre l’occiput et la rétine. 

Je prends acte de mon écrasement sur vos futures têtes réduites. 

Je rue dans l’oxygène. 

Si peu d’amour et de violence en moi. 

J’aurais pu tranquillement dessécher sur la grève. 

Je n’étais pas aurifère pour un sou. 

Ductile comme la limule, ça oui. 

Stagnant toujours ente deux métamorphoses. 

Je suis la cible privilégiée du temps qui se cabre sous mes loopings.  

De là à penser que je suis martyr ou rédempteur ou Christ à la tiare de vent, il n’y qu’un saut de puce. 

Un saut de puce de trois millions de kilomètres. 

Ouvrez grand vos mâchoires édentées. 

Vos belles grosses gueules d’amour. 

Ravalez vos langues et bavez tout votre saoul dans des dames-Jeanne de granit. 

J’arrive. 

.

 

[Fin]

.

.

Laisser un commentaire