Poetic transfer, 9

Traductions de Céline Leroy. Lire les autres épisodes

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poèmes de Wanda Coleman, Wicked Enchantment, selected poems, Penguin 2020

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Sonnet américain 61

plongeant la main dans ma musette de griot
toute en sagesse femelle et commentaire social
bien senti, j’en ressors des briques
avec lesquelles reconstuire
le passé ou déconstruire un crâne. la douleur
me prive des sous de l’art
quand je m’efforce, pour des cacahuètes, d’araser les murs et
de recimenter les ruines de ma prédisposition poétique. dans
l’alphabet sans fin des métissages
afroblues, je choisis les visions d’apocalypse
(détails et amants bien réels)
et j’articule mon voyage par-delà cet
horizon où le moi disparaît

Mi violentas flores negras
voilà mes chants d’esclaves

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Le blues du samedi après-midi

peut te tuer
à petit feu il peut te tuer
toutes les copines sont sorties faire du shopping
ya personne à la maison
la ligne d’infosuicide est occupée
je me retrouve seule
un cachet et une bouteille pour toute compagnie
et le cœur gros du mal qu’on m’a fait
je suis bonne pour le médecin légiste, le refrain d’une chanson

les samedis après-midi sont meurtriers
quand l’air est frais et que c’bon vieux
soleil murmure bien clair
Bientôt c’en sera fini de ta vie
infosuicide je n’arrive pas à te joindre
ma meilleure copine est en vadrouille
suis seule avec un cachet et une bouteille
dans laquelle je noie mes problèmes

l’homme que j’aime est un meurtrier
l’homme que j’aime est un voleur
l’homme que j’aime est un junky

l’homme que j’aime c’est que des ennuis

il y en a qui disent sabbat pour samedi
ce serait le dernier jour, disent-ils
mais premier ou dernier, mon cœur va éclater
sans personne pour me venir en aide
moi qui suis seule avec un cachet et une bouteille
et une vie trop pleine du mal qu’on m’a fait
je suis bonne pour le médecin légiste, le refrain
d’une chanson

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Neruda

rares heures de calme
je les passe à tremper dans mon bain avec mon neruda

en rêve un barbu moreno que je ne connais pas
s’approche de moi dans une rue sombre qui va vers la plaza
on se croise et d’une voix rauque, il murmure « neruda »

sur sunset boulevard un mendiant me demande
de la monnaie. je lui donne mon anthologie de neruda

pendant la sieste de mon amant je descends
au bar du quartier pour un billard en solo. je commande un
dos besos. je mets un quarter dans le jukebox et remarque
que la sélection ne propose que du neruda

à la caisse du supermarché
je lis les gros titres des tabloïds. l’un d’eux claironne
« un homme gave sa femme de neruda »

(il me dit qu’il s’inquiète que neruda ne nous sépare)

message trouvé dans un fortune cookie :
neruda a dormi ici

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