Nocturama

par Maciej Topolski. Traduit du polonais par Michal Grabowski en collaboration avec Clément Llobet et Blaise Guinin

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Nocturama et autres poèmes

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servis

je servais tous ceux-ci qui prenaient tous ceux-là
pour des inexistants interchangeables par cent autres
ils ne retenaient ni les prénoms ni la sueur ni encore
ce goût amer dans la bouche des affamés

je servais tous ceux-ci qui prenaient tous ceux-là
pour des moins-que-rien oui je les servais avec une grande (ton de voix
emprunté) élégance dans les tréfonds de l’arrière-cuisine je buvais
les fins de bouteille quant aux assiettes j’en mangeais les restes froids

des perdrix des cerfs ils n’en manqueront jamais j’ai vu
sur des photos un prêtre hisser un pareil cerf sur un camion
une longue trace saignante marquait la neige

des cerfs ils n’en manqueront jamais dans leurs frigidaires j’ai vu
des perdrix elles m’ont laissé une longue trace saignante sur les mains
j’apportais les mets je vous en prie mettez-les en bouche

ai-je dit

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visibles

sans monde l’œil est aveugle
il ne voit que blancheur de lumière
il ne voit que vision
________________ d’ici sortira

l’œil aveugle parcourt la blancheur
le pulsatif l’indépendant
jusqu’à la brèche
____________________ de là sortira

chose corps signification

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déchus

aux derniers
restent des verres affalés dans la brisure
des corps suspendus dans la chute des corps se perdant
ta chute sera notre réconfort

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(extraits de : Na koniec idą, Łódź 2017)

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1.
La lumière s’étale en pointillé elle va
le long des herbes. Les branches
se frappent les unes les autres. L’ours
se lève en silence
se fige.

2.
Stupide
cet animal qui contre rien défend.
Stupide
cette branche qui sans raison frappe.
Stupide
cette lumière qui nulle part ne va.

3.
Ce stade avec ses milliers
de sièges bleus pliables vides sa pelouse échevelée ses miettes de papier.
Et puis les squares
les escaliers entre les saules au bord du fleuve.

4.
La peur
vient avec ses milliers de chausses. Et glace
comme une eau tout poème.

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nocturama

j’ai traversé de vastes espaces
courant après un rêve en retour
on m’a donné des résidus de lumière

des résidus de lumière
pour oublier ce parcours
la chambre toi surtout

cette lumière m’a suffi à ne plus suivre
tes pas à arrêter cette longue errance
moribonde et clarifier

l’obscurité avait dissimulé les blessures
il fallait rester prudent se souvenir
des corps des objets

alors dans la nuit dans le verbe
s’étaient réunis implacables
les larmes et le doute

es-tu toujours là mes excuses
je me croyais déjà seul
tu délires visiblement

tous les chiens aboient
ça fait longtemps que la lumière
les a bannis quelles vues avons-nous

une nuit longue comme un jour d’équinoxe
aux allures infinies une nuit
vierge d’étoiles

dors moi je ne rêve pas
j’ai attendu longtemps que mes pensées partent
calmement je reste telle une suie efflorescente

c’est de cette image d’elle dont je me souviens
pleinement elle fleurissait parmi toutes
les nuances de noir des fleurs nocturnes

il paraît qu’en fleurissant dans la nuit
la mémoire intensifie les souvenirs du jour
transforme nos voix cassées

renforce les chants prolongés
les phrases morbides et les tsii-tsii-tsrii des gobemouches
qui si tôt si tard appellent

quelle heure est-il quelle frontière
se découpe ici qui donc est passé par-là
pourtant aucune âme qui vive personne rien

de visible à travers les œils sombres
le matin est loin mais le monde l’est plus encore
rien là-bas ne ressemble à rien

quelle probabilité de te retrouver
hors de cette lumière cela a-t-il du sens
est-on proche de quelque chose

quelque chose qui arrivera qui se vengera
les yeux fixés dans le miroir noir
tu reconnaîtras cette ombre

sans discussion sans mot

dans l’antre du rêve où tu as tout perdu
du moins suffisamment et déjà trop pour t’unir
en acceptant cette vérité prononcer ensemble

lumière

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(extraits de: LUXUS, Łódź 2019)

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