Provences

par Jules Masson Mourey

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Je crois à la mer menstruée
vue d’en-haut, des falaises poudrées d’argent
du ciel bruyant marqué par la monstrueuse empreinte digitale de la Vierge
– le rire fou des gabians
je crois à la mer excisée
écarlate
sous la lame aigüe du couteau barbaresque
la résine s’écoule de la peau des pins
gicle de l’œil unique des capians
turgescents
je crois à la mer architecturée comme un couvent manuélin
je crois à la mer gravide de troupeaux d’animaux livides
j’ai vu les trois bateaux recrachés cet hiver
comme des molaires cariées

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Le ciel est une coupe de champagne
une rascasse volante
un os de seiche
une peau de grand brûlé
les veines au front du soleil semblent prêtes à éclater

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Et enfin le sommet
les Alpilles blanches et vertes découpées dans le vide, croissantes et décroissantes
mollets gorgés d’hémoglobine frappés contre le calcaire, les paumes piquées des thyms et des romarins
ces mains qui craignaient à chaque prise de rencontrer les anneaux de l’aspic lovée
mais l’aspic sommeille encore
sang venu à la bouche, craché entre les dents
le doux vertige
et le vent sec aussi, qui met des échardes aux yeux, qui tire les larmes
mistral gelé, violent comme la mort, mais la mort douce
la mort en pays ami
De là-bas vient la transhumance ; le bétail et les hommes
loin, le géant Ventoux chapeauté
et sous les chaussures fermement vissées aux murailles tombées du fortin
quelques tessons de ces poteries vernissées
brisées par les gens d’un autre temps

*

Ici j’ai baisé Calista
est inscrit profond, en langue étrusque
dans le rocher d’une crique à l’écart
On imagine l’instant fébrile et les deux paires d’orteils crispés
ses mains à elle égratignées sur les coquillages morts
et la fille cambrée laver après à l’écume des petites cuvettes salines
son nombril doré et ses seins glacés comme des sorbets

*

Oh ces guirlandes de girelles bariolées comme des bonbons
qu’on soutirait à la mer du matin d’avant mistral
avec nos palangrottes en liège !
tout au bas des calanques dessous les figuiers de Barbarie
les gros lézards émeraude et les couleuvres immobiles

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