Exil

par Conrad Aiken. Traduit de l’anglais par Pierre Vinclair

.

.

 

Collines sablonneuses. Arbres rabougris. Ici, les corbeaux
Lugubres croassent dans des ciels à l’éclat aride,
Gémissent dans les pins poussiéreux. L’aube jaune
Éclaire sur les longues pentes brunes une rosée épaisse
Comme du gel, aussi lourde que la pluie ; les pistes qu’y tracent
Les lapins ressortent autant qu’elles le feraient dans la neige.
Mais la rosée fond vite au soleil — et quel bien cela fait-il ?
Les maisons, sur la pente, ou au milieu des arbres bruns,
Sont grises, ratatinées. Et les hommes qui vivent ici,
Petits, flétris, ressemblent à des araignées aux yeux immenses.

Prends de l’eau avec toi si tu viens vivre ici —
En citernes froides qui tintent, ou puits si profonds
Qu’en s’y penchant on voit jusqu’au Gange, ou l’Himalaya.
Oui, prends aussi les montagnes, blanches, qui portent la lune,
Les montagnes de glace. Tu en auras besoin,
Des profondeurs et pics de l’humide et du froid.

Prends aussi, dans une cage grillagée, ou en osier,
Des oiseaux au plumage doré, qui chanteront
Les feuilles qui ne flétrissent pas, les fruits juteux
Qui pendent lourdement sur les longues branches harmonieuses
Dans les forêts bleu-argent des vallées profondes.

Depuis combien de temps — suis-je ici ? Innombrables années.
Mes mains deviennent des griffes. Mes yeux se creusent, immenses.
Je n’ai emmené d’oiseau, ne possède de citerne
Où trouver la lune, ou quelque rivière, ou la neige.
Un jour, manquant de tout cela, je tisserai une toile
Entre deux cimes de pins poussiéreux, et pendrai là,
Tête en bas, comme l’araignée, remué aussi doucement
Qu’un fantôme de feuille. Autour de moi, les corbeaux
Croasseront. Le Matin et le soir je boirai la rosée.

.

.

 

Laisser un commentaire