par Michèle Finck
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Arnold Schönberg
Quatuor à cordes n°2 op.10 [1]
Quatuor Arditti
Dawn Upshaw
Avoir toujours su que ce quatuor m’était destiné.
L’avoir respiré à plein poumons.
Quatuor – ange couvert d’yeux grands
Ouverts. Certains perdent cils et regardent
Vers le passé. La plupart cillent vers l’avenir.
Quatuor – précipité de l’histoire de la musique.
Deux premiers mouvements : encore la Sehnsucht.
Lave composée aux confins de la tonalité élargie.
Etirement élégiaque des cordes en suspens. Fa dièse
Mineur irradie incandescent dans l’humus sonore.
Sont encore presque tous là les repères acoustiques :
Retiennent de tomber du rocher de la musique romantique
(Encore le voyageur de Friedrich méditant noir)
Dans le vortex natal de la musique moderne.
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Mais écoute : Schönberg est enceint
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Il désapprend : l’acquis. Il désire : l’inné.
Soudain troisième mouvement : glace-feu se disloque.
Musique veut métamorphose. Aimer
Chez Schönberg : le moment où sable mouvant cérébral
La tonalité vacille. Va basculer. Vacille. Saisissement :
Surgissement inouï de la voix de mezzo-soprano.
Bouleversement de l’équilibre sonore. Chancellement.
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Ecoute : Schönberg hésite
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Suspens. A l’intersection entre tonalité et atonalité.
Vertige crânien au point de rupture :
« Lang war die reise, matt sind die glieder,
Leer sind die schreine, voll nur die qual.
Töte das sehnen (…) Nimm mir die liebe ».
Arrachement des racines tonales dans gorges ouvertes.
« Nel mezzo del camin di nostra vita »
Là où tout à coup pieds nus ne peuvent plus
Marcher et vont peut-être nuit voler décoller hors.
Poème : immersion totale dans la musique.
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Ecoute : Schönberg hésite
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Suspens de tout le passé
Du haut de quel plongeoir mental va-t-il se jeter ?
Tous garde-fous laissés derrière lui
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Fœtus d’un nouveau monde
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quatrième mouvement : aube atonale grâce cosmique
premiers pas étonnés émerveillés dans l’inconnu galactique
plus aucune note ne domine l’autre ni tonique
ni dominante démocratie astrale dans la cité invisible de la musique
dissolution de la tonalité suspension au-dessus du gouffre
dans la délivrance de toute pesanteur lévitation par spirales lentes
jusqu’à écouter respirer les planètes
__________________« ich fühle luft von anderem planeten »
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Poèmes de Stefan George extraits de Der siebente Ring (Le septième anneau) :
– « Litanie » : « Long fut le voyage, les membres me pèsent,
_________________Mes malles sont vides , pleines seulement de souffrance
________________________________________(…)
_________________Tue le désir (…) Ote- moi l’amour »
– « Eloignement » : « Je sens l’air d’autres planètes »
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[1] Dans ce deuxième quatuor (1907-1908) Schönberg bascule de la musique tonale à la musique atonale.
[Illustration : Peinture d’Arnold Schönberg]
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