BLANCA & ARNAUTZ (1/4)

par Brice Bonfanti

CHANT XXVI

BLANCA & ARNAUTZ

qui s’asservit au joug du livre de l’Amour

OCCITANIE

Ce chant fait partie du troisième cycle des Chants d’utopie à paraître au printemps 2021. L’enregistrement des poèmes lus par l’auteur est accessible par un lien fourni avec leur titre.

Na Mieills-de-ben, ia no·m siatz avarga,
q’en vostr’amor me trobaretz tot blanc

Arnautz Daniels
Si·m fos Amors de ioi donar tant larga

Dame Mieux-que-bien, ne me soyez pas avare,
qu’en votre Amour vous me trouverez tout blanc

Arnaut Daniel
Si Amour était large en son don de la joie, XIIe s.

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PRÉAMBULE (lecture par Brice Bonfanti)

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Au début j’ai rêvé, les Chants d’utopie,
de les former en occitan, carrément !
rondement ! quadratureducerclement.
Ce rêve eut lieu en l’an 2000 à Milan
où je rencontrai : le meilleur œuvrier
Dante, et de lui, ses maîtres d’Occitanie.
Ma paresse, ce rêve, elle le refoula ;
et refoulé, le rêve pas annulé
se défoula par d’autres voies : il chercha
à pénétrer le français, avec douceur,
avec force, avec surtout force douceur.
J’écris ce chant, comme les autres, en français,
en langue morte, et monotone, et atone,
qui n’est pour moi, sa proie, qu’un cheval de Troie.
Mon corps comme les autres, kyrielle, est enclave
dans les légions romaine et française, en lave ;
mon corps, cheval de Troie, le français pour proie.
J’aimerais coloniser la langue morte
par l’outrevie enclave au pire, hors empire,
par la langue enclave, le cœur enclave au pire
hors empire du pire, l’enclave de vie.
Les parisiens ont raison : ils sont la france.
Hors paris pas de france : des provinces – vaincues,
dominées, diminuées et rendues tues.
Tel tout état, l’état français, esclave, torve,
l’état torve, le tas de morte morve, nous tance :
« Je vous arracherai la langue – hors vos corps.
Vous n’aurez plus de langue directe, connue,
sue, issue, de votre premier bain d’enfance.
Vous n’aurez qu’une langue indirecte, polie,
un habit, qui ne sera pas votre peau
sauf une illusion – d’avoir pour peau l’habit.
Une seule parole, dite en votre langue
je l’étale à l’étau, la scie à la scie
pour que vous hurliez ma langue de supplice. »
Les parisiens ont raison : ils sont la france.
Hors, nous ne sommes pas la france, quelle chance !
L’Occitan s’est souvenu en un instant
que son accent est la trace d’une langue
tue par celle de paris, celle zombie,
qu’il rend bien ridicule, en l’accentuant :
l’occitan, en la colonisant d’accent,
manifeste : son incompétence en chant.
Pas d’accent, pas de rythme, pas de chant, pas d’hymne.
Imagine un français parlant occitan !
Pas d’accent, pas de rythme, pas de chant, pas d’hymne.
Imagine un ulcère chantant la paix !
Pas d’accent, pas de rythme, pas de chant, pas d’hymne.
Quel accent il aurait ! un accent râlant,
un accent de cadavre automate, autocrate,
qui impose sa mort à tous les vivants.
Le français est une langue morte ! morte
depuis sa naissance ! qui avorte, qui avorte
de l’accent, absent, du sang de la cadence.
Il faut lui donner vie, au cadavre-né !
Il faut lui insuffler, lui inoculer
d’autres langues vivantes, jusqu’à ce qu’il chante !
S’il ne veut pas chanter, nous l’y forcerons.
avec force douceur, nous l’y doucerons.
Que de cadavre il se fasse : havre, de vie havre !

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PRIME AMBULE (lecture par Brice Bonfanti)

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Vous les barbares, légion française et romaine,
vous traînez par les cheveux, brusquées, vos femmes.
Nous, femmes d’oc aimées, sommes bien aimantes,
puissantes – comme la non puissance du Bien,
Bien majuscule, pas minuscule aussi bas
que le mal, toujours minuscule, qu’il combat.
Nous, femmes d’oc chantées, sommes bien chantantes.
Nous affinons notre terre, nos hommes, d’amour ;
nos hommes, fins d’amour, nous affinent d’amour.
La prédation est détournée, retournée,
domestiquée, transfigurée en chanson
– comme la Force du Tarot est la femme
qui tient sans force, ouverte, la gueule du lion.
Nous, femmes d’oc, tenons sans force la bouche
ouverte de nos hommes, qui ne gueulent, mais chantent,
car ils renoncent comme nous à la force.
La force rend mal, la faiblesse rend bien ;
la force rend bas, la faiblesse rend haut ;
la force rend brut, la faiblesse rend doux ;
la force rend laid, la faiblesse rend beau.
Il y a le haut, et il y a le bas.
Il y a un haut haut, et même un bas haut.
Il y a un haut bas, et même un bas bas
– un bas bas à paris, un bas bas à rome.
Il y a d’autres bas bas, ici et là,
dans chaque religion, chaque irréligion :
français, romains, nous refusons votre force
qui s’abat sur vos dames, vos voisins, vos âmes.
Vous êtes leurs brutes, belzébuths en rut,
tristes rebuts qui les culbutent, les rebutent.
Vous ne voyez que la force du visible,
niez la puissante faiblesse invisible.
Et votre force est l’aliment de néant,
pestilent, du ressentiment de vos femmes
qui forcément vous haïront, polluées
par votre force qui ment, qui enlaidit,
qui vous enlaidit et qui les enlaidit.
Dans quelques siècles, vos femmes, salies par la force,
salies par vous de force, et à bout de nerf,
vous rendront votre guerre, mèneront la guerre
des nerfs, contre vous : vous serez énervés,
corps comme morts, inertés, plus innervés.

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SECONDE AMBULE (lecture par Brice Bonfanti)

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L’Occitanie, enchâtelée, s’enchâtelle
de villages châteaux, sur colline en haut.
Les maisons forment des cercles concentriques,
que la place publique, au centre, renouvelle.
Le dernier cercle de maisons fait rempart,
ou bien s’adosse, en ronronnant, au rempart.
Nous ne faisons des châteaux forts, des places fortes
stratégiques, qu’en réponse à la france inique,
au roi de france, roi pour rire, roi de merde
qui agresse par gerbes d’offense acerbe.
Leurs châteaux forts sont leurs mélieux de souvie :
leur souvie, amère, s’y dédie à la guerre.
Ce sont des lieux odieux, armés, pas amènes.
Nos châteaux forts ne sont pas nos lieux de vie.
Nos châteaux faibles, nos villages châteaux : si.
Ce sont nos bons lieux aimables sans arme, amènes :
Lavaur, Lantar, Concas, Laurac, Rabastens,
Argon, Ribièiras, Cavanac, Puèglaurenç…
L’Occitanie enchâtelée en étoile
est étoilée de beaux villages châteaux
qui rayonnent de routes, de chemins, de voies.
Toutes les routes de mort à roma mènent.
Toutes les voies d’amour de vie nous ramènent
à l’un des villages châteaux, à mi-voie :
chacun est étoile, et toutes les étoiles
composent, en toile, une seule et haute étoile ;
chacun est fleur, et toutes les fleurs, à l’heure
bonne de leur propre couleur, nous amènent
à composer une seule et blanche Fleur.
Et à Laurac, une Bonne Dame sème,
Blanca la blanche, comme en tout bon vif ailleurs.

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