Ajustement (5/6)

par Pierre Lenchepé & Ivar Ch’Vavar.

Ajustement (titre « de travail », qui sera changé) est un poème en vers justifiés (entraînant dans son cours cinq « pièces » de vers non justifiés). Poème-document (il recycle des documents, lettres, récits de rêves, notes…), il est très long (deux-cent-soixante pages). [Note des auteurs]. Relisez ici le premier épisodelà le deuxièmelà le troisième et ici le quatrième.

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pièce n°4

la complainte des
JOURS BRENNEUX

1.
Les nuages sont des étrons
Qui filent longs vers l’horizon
Ils filent du mauvais côlon –
Ils viennent du mauvais côté
(Voulais-je dire). Quel côté ?
Celui où la bonde est ôtée
Qui tenait nos enfers forclos.

2.
Enfin, c’est l’impression que ça donne !
Je suis des pieds la route d’au
Tomne (ou d’hiver ?) et des yeux, là-haut,
La coulée aux grosses couleurs mêlées, marron, jaune
– Ou la poussée serait mieux – de ces nuages
Qui, avec une ancienne et nouvelle contorsi.on, nagent
Plus que ne voguent, tout au-dessus des villages.

3.
Moi sous ma toque de murmel
Je marche en dormant et grommelle.
Ça n’est pas que je me rebelle –
Non : que les temps soient chi.atiques,
Tant que je les sens fatidiques
Je vais, forçant mon pas oblique
À serrer l’obscur entrelacs.

4.
Je grogne et marmonne un poème, l’épithalame
De ton retour (je veux !) entre mes bras.
Ah, me chercherais-tu aussi ? ne va pas
L’emporter déjà hors de vue cette flamme
Si haut tordue des cheveux et du vœu.
Je parle de tel embrasement, oui, ce feu
Particulier, lequel naguère a relui pour mes yeux.

5.
Et puis il y eut la veillée
Où, accroupis, lire, écouter
Des histoires, non sans téter
Maint goulot et fumer beaucoup –
C’était au fond de quelque trou.
Nos ombres vaguement y jouent
Tantôt longues, ou raccourcies

6.
(Selon que bouge la bougie). Dans la cassine
Étroite, étrange, et très obscure, tu nous lis
Inexorable, un conte : une fille court, toute bleuie
Par le gel (elle est nue), les ravines,
Talus, fonds et hauts du pays ; elle va
Complètement insensible au froid – n’est-ce pas
Tout bêtement parce qu’elle n’existerait pas ?

7.
Pur fantôme, la fille bleue ?
L’œil seul, louchon et globuleux,
D’un pauvre idiot l’aura vue, le
Temps que son cœur fasse un bond
Dans sa poitrine et qu’un cri long
Et tordu jaillisse du fond
De son être tout atterré.

8.
(Cet idiot, je crois le connaître.) On enchaîne
« Sans transition » ; une autre lectrice se lève et –
Énigme ? – personne ici ne sait qui c’est,
Ni ne paraît soucieux qu’on l’apprenne.
Mais elle est bien là : aux solives enfu
Mées court son ombre, et son reflet flue
Sur le verre des fioles et flacons bus.

9.
Et dans le livre d’un Danois
Feuilleté elle fait son choix
D’une bien émouvante histoi
Re : au fond d’une contrée polaire
De blonds trappeurs célibataires
Vivent par deux ou solitaires
Languissant après une amie.

*

*

À suivre… 

(Illustration : Noah V.)

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