Remerciements (1/2)

Par Cyril Wong. Traduit de l’anglais (Singapour) par P. Vinclair. Ces poèmes sont issus de The Lover’s Inventory, Math Paper Press, 2015.

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Merci de m’avoir autorisé à ramasser
les pièces tombées sous ton lit et à essuyer
les taches du lavabo et de la cuvette des W. C. —
ça me rend maniaque — et de m’avoir versé
d’amères substances au fond de la gorge
ou directement dans les veines
avec des garanties et une seringue, quel que fût
le prix à payer pour s’échapper du monde réel.
Merci pour chacune des sex-tapes
et d’avoir invité tous tes amis à nous rejoindre
et d’avoir prétendu qu’il fallait que je reste
parce que la fête ne serait pas aussi réussie
sans moi. Merci de n’avoir pas su
que je branchais les autres
qui nageaient pris dans mes filets
à ta place. Merci de m’avoir réinvité
quand même, lorsque tu l’as appris.
Merci d’avoir tout payé de l’hôtel
au lubrifiant et aux repas à emporter
et aussi, de temps en temps, de m’avoir fait payer.

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Merci pour la musique : les chansons immémorables
à la radio ou la calypso quand tu baises
qui s’accorde à la bascule de la nuit —
mode majeur à mineur et puis entre les deux.
Merci pour l’ordinateur sur lequel j’ai consulté
mes mails dans les pauses entre deux préliminaires
ou surfé sur des sites où j’ai lancé des recherches
de partenaires comme toi rangés sur des étagères
dans la bibliothèque du désir, infinie, à laquelle nous retournons,
attendant d’être sortis du rayon, ouverts et infatigablement
lus et relus. Merci pour ne pas essayer de lire
entre les lignes des conversations superficielles ;
d’avoir accepté les mensonges pour tels, prenant la place
de vérités inacceptables, ou trop nombreuses
pour qu’en soit fait le déballage, comme des valises remplies de briques
et de bris de verre. Merci pour ces harmonies
bâties sur les accords étincelants de nos tromperies
et que nos corps entremêlés chevauchent, comme en flottant.

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Merci de m’avoir dit encore
de ne pas trop réfléchir ou me
retenir ; et de laisser faire — taoïsme
en position 69. Merci
d’y aller doucement, d’y aller
jusqu’au bout, en épluchant
chaque inhibition, sous l’haleine humide
du temps sur nos nuques. Merci
de m’ouvrir les sens de
termes comme “esclave” ou “décharger”.
Le cœur s’affaisse dans sa grotte,
pendant que le reste de mon corps
part pour cette singulière aventure
sans carte ni boussole.
Mes remerciements pour n’avoir pas dit
où cela nous mènerait, comment cela finirait.
Même si tu ne l’as jamais su,
bénis sois-tu de nous avoir poussés plus loin
dans le virage, jusqu’à faire basculer nos visages
loin de la solitude et de la mort.

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Merci pour le subtil SM ;
le bondage léger, les fessées délicates ;
d’avoir allumé tous les projecteurs
sous la peau. Merci pour la confiance
et l’expérimentation, de la douce
coquineries aux mais-putain-
qu’est-ce-que-tu-pensais ? Merci
de croire encore aux limites.
Merci pour la soumission
et d’admettre la contradiction :
de comprendre “oui” quand
je voulais dire “non”. Merci
de nous ligoter ensemble
à l’ici-et-maintenant ;
pour l’art de nous faire oublier
l’impermanence des choses
et dehors un monde purgatoire.

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Merci pour la banalité de l’addiction
et le retour des regrets ; un rêve dont je m’éveille
sans me souvenir de rien, avec l’assurance
que si les détails me revenaient
je supprimerais les contacts de mon téléphone
et jetterais mon carnet noir au vide-ordures.
Merci pour la charmante proposition selon laquelle
ce besoin que nous avons ne serait que le symptôme métaphysique
d’un univers incapable d’en finir avec l’habitude
de se perpétuer lui-même, elle-même davantage conséquence
de son absurdité que d’un dessein intelligent ;
sauf que ce que nous avons perpétué
ne va pas beaucoup au-delà des raisons indicibles
qu’a le corps d’oublier ; une capacité d’oublier qui
me quitte ce matin, du fait que je regarde
tes messages laissés sans réponse. À la place
je décide ou bien de regarder par la fenêtre
d’un esprit détaché, ou bien de reprendre un livre,
ou d’allumer la télévision, ou d’écrire un nouveau poème.

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À suivre…

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