Contre la traduction

Par Alan R. Shapiro. Traduit de l’anglais par G. Condello

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Les chants descendaient majestueusement depuis les steppes du nord
avec leurs chevaux cinéraires
avec leurs épées, leurs habits de cérémonie,
dans le sillage de la bataille
suicidaire pour traduire
la chair brûlée en bronze
en une traînée verticale de vapeur blanche,
de gloire qui, à les en croire,
serait immortelle
par là ils voulaient dire
que la mort serait seulement
prolongée
un peu plus longtemps
comme sur une échelle
d’air chaque
nom légendaire en fumée ne pourrait monter
qu’en se diluant
jusqu’à disparaître.

Et maintenant que nos appareils avec leurs extrémités d’acier
creusent, trient
et analysent
ce qui reste :
de maigres traces
de débris insensés, la suie muette des rituels effacés
par une cendre plus muette encore,
sous les villes fantômes
que les fantômes ont désertées,
tout ce que nous déterrons
désormais intacts
intraduits ce sont
les os des bébés,
inhumés chez eux dans des demeures plus anciennes
dans des strates plus profondes
sous les sols de boue
dans des puits – posés
délicatement sur le côté, genoux repliés sur la poitrine,

le crâne enveloppé par la pierre osseuse des mains,
le nourrisson mort,
le mort-né,
le non-né – innommé,
sans ornements,
comme si la seule richesse ensevelie
avec eux dans la tombe était
leur disparition –
comme si
c’était ce que les mères
voulaient garder auprès d’elles,
caché, protégé
de la puanteur
héroïque du brasier
montant tandis que leurs seins
encore gonflés coulant
arrosaient la terre noire
qui tète à leurs pieds.

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