« La loi des remariages », 2/2

Par Christine Chia. Traduit de l’anglais (Singapour) par Pierre Vinclair. Lisez ici le premier épisode. 

RADIO

Leur tante, devenue tout-à-coup devenue leur tutrice,
presque complètement aveugle à cause
de la cataracte et constamment en train de pleurer
comme un enfant,
ne prenait plaisir
qu’à écouter la radio.
C’était son fils le plus dévoué,
qui ne la blâmait jamais d’être trop vieille, aveugle et grosse,
et qui parlait, si tendrement, dans son dialecte en voie de disparition,
jusqu’à ce qu’elle s’endorme.

*

CHOSES QUE SA TANTE NE SUT JAMAIS, I

Choses que sa tante ne sut jamais :
Ils sont enfermés tous les deux
comme des amoureux, elle contre le mur de la salle à manger,
et Frère tout contre elle,
chuchotant à son oreille,
portant un couteau, non aiguisé, sur son cou.
Elle le regarde droit dans les yeux
alors qu’il appuie de sa lame, plus fort, dans la peau de son cou,
y laissant une petite mais douloureuse crevasse rouge.
Elle dormira avec ce même couteau sous l’oreiller, cette nuit-là,
attendant qu’il vienne.

*

CHOSES QUE SA TANTE NE SUT JAMAIS, II

Choses que sa tante ne sut jamais :
Quand elle refusait d’obéir,
Frère prenait une brique de soupe claire
à emporter, brûlante,
et la posait sur ses pieds.
Cela ne laissait pas de marque.

*

SEPT

Ils se battaient.
La porte était fermée à clé.
On essayait de voir quelque chose, n’importe quoi
depuis la fenêtre,
et de lire les ombres dans leur chambre.
Un cri perçant.
Mère sortit en courant,
avec du sang partout sur son polo blanc
nouant ses cheveux
et gouttant sur le sol, puis étalé par ses tourbillons furieux.
On l’envoya à l’hôpital. Sept points de suture,
pendant que lui descendait boire une nouvelle bière,
pour bien dormir.
Je commençai l’école
le lendemain matin,
son sang toujours collé au mur,
et me fis sept nouveaux amis.

*

COMPTANT LES BUS

Les mères de ses amis l’aimaient toujours bien.
La maman de Wanjun lui offrit un Fillet-O-Fish,
elle travaillait au McDonald’s qui était en bas,
et elle l’autorisa à rester tard,
à regarder les phares ondulants des voitures,
rubans de lumière débobinés
dans l’obscurité aussi loin que portait sa vision,
et comptant le nombre de bus
qui rentraient chez elle alors qu’elle non.

*

LA DIRECTION OPPOSÉE

Elle avait du mal à se lever pour aller à l’école
mais ne fut jamais renvoyée
parce que son amie, la surveillante,
la marquait présente
même si elle avait manqué les deux premières heures.
Elle désirait à moitié être renvoyée de l’école
comme son frère, qui revêtait son
uniforme sur-mesure, d’un blanc impeccable,
quittait la maison à l’heure,
puis prenait le bus
dans la direction opposée,
vers les salles de billards.

*

RÉVEILLAIENT

Mère les frappait
si jamais ils la réveillaient
en se préparant pour aller à l’école
quand il faisait encore nuit, que le lit était encore chaud, l’air frais et humide,
et leurs yeux embués de sommeil.

*

SURTOUT POUR OUBLIER

Elle restait à l’école
à cause de ses amis.
Et parfois, pour apprendre,
mais surtout
pour oublier
et pour rire.

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