La Vie disparate, 4

par Camille Petrossian. Lire les épisodes précédents.

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15.04_-___ Musée Fabre, ayant invité les participants de l’atelier à
___________ dépeindre le portrait que Courbet eût composé d’eux,

___________ je cherche l’espiègle entre l’“homme à la pipe’’, le portrait
___________ de Baudelaire, le Tableau-solution, “Bord de mer à Palavas’’

___________ et le trouve sérieusement renversé au-dessus d’un carnet
___________ avec une cigarette électronique et un verre de vin, ridicule

___________ sur un minuscule banc de pierre plage de La Tour-de-Peilz,
___________ face aux eaux qui miroitent jusqu’au lustre du Mont-Blanc

___________ vu de très loin [ajout du 26.07 : le Mont-Blanc n’est pas visible de
___________ La Tour-de-Peilz], pendant que C. nage dans le lac glacé

___________ et qu’A. et N. font des ricochets — combien de fois
___________ faudrait-il zoomer pour qu’apparaisse détail plus âpre

___________ que l’adjectif émis par un ami — se souciant de la région
___________ seulement pour aménager, la trouant de signes, où vivre.

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16.04_-___ Je me suis planté face au « Pont d’Ambrussum », telle
___________ une ancienne arcade démolie au milieu du Vidourle ;

___________ sachant que le tel-qu’il-est est le fruit des errances
___________ d’un chaos recherchant à se suspendre dans une forme

___________ je m’accroche aux roseaux — on y décèle l’unique coup de
___________ pinceau des Chinois — pour passer du simple au complexe

___________ mais le tableau m’apparaît vite ainsi que le reflet du pont :
___________ plongerais-je en palper l’épaisseur la comédie s’anéantirait

___________ comme si les gestes étaient le territoire défendu d’une toile
___________ pressant qui la contemple à ne guère recourir aux mots ;

___________ le trait unique des roseaux, les nuages se distinguant à
___________ peine, les eaux éventrées, c’est moi qui viens mettre du feu

___________ sur l’huile du peintre et dresser, discrète dans les pigments
___________ élémentaires, le prétexte d’une ode à la métamorphose.

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___________ La terre est le nom de ce qui se cache sous la terre ;
___________ le ciel a la couleur de ce qui n’est pas dans le ciel ;

___________ la surface de l’eau capture la surface de l’hors de l’eau
___________ le feu invisible rend visible tout ce qui n’est pas le feu ;

___________ l’eau et le feu permettent à chaque chose d’être double et
___________ les choses qui n’arrivent pas deux fois n’ont jamais lieu ;

___________ toute chose est née un jour de la rencontre inamicale d’un
___________ ciel qui n’est rien et d’un cadre qui n’existe nulle part ;

___________ tout être est, démoli, un pont entre sa propre destruction et
___________ sa reconstruction, aux pieds disparaissant dans leur double

___________ et moi, simple engagé comme tout un chacun sur ce pont
___________ en ruines, je m’arrête où nul ne pourrait plus avancer ;

___________ immobile, je perçois le mouvement de mon reflet seul
___________ dans l’eau agitée et je plonge pour me joindre à la nage.

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17.04_-___ Qui, si je rencontrais Rilke au fond du Lez For beauty
___________ is the terror we endure (oui, j’écoute The Weeknd)

___________ ou Rousseau, batifolant vers Montpellier où il ne
___________ guérira jamais (repartant queue entre les jambes),

___________ me croirait ? serait-ce plus ou moins inattendu que
___________ les dictons en agni des participants de l’atelier FLE

___________ ou le récit de S. (son ménage malheureux, ses dettes
___________ et son burn-out) 27 ans après notre dernier coca ?

18.04_-___ art et réel s’ombragent tout comme les deux réactions
___________ exclusives au roman que je présente au public ce soir :

___________ dedans, les vieux remettent en cause le cloisonnement
___________ des genres (je leur réponds que les formes pensent) ;

___________ dehors, les jeunes postulent que toute énonciation est
___________ située et c’est un homme qui parle (je ne réponds rien).

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___________ À 22h30, C. a atterri devant la Boutique d’écriture,
___________ ange échappé de son taxi, belle, pimpante, désirable

___________ comme un catalyseur à même de rendre notre vie
___________ aussi signifiante que l’art, l’art puissant que la vie,

19.04_-___  avant de passer la journée à télé-travailler à mes côtés
___________ pendant que j’achève L’Œuvre-vie d’Antonio Gramsci

___________ balafrant maladroitement d’un trait noir le drap blanc
___________ comme si toujours le geste d’écrire menait la danse

___________ (fait incongru pour qui, seul en sa cellule, se donnait
___________ pour tâche de prolonger la théorie dans la pratique)

___________ oui c’est un geste franc qui traverse le réel, et tout art
___________ naît ainsi ; la pensée ne s’éveille que dans son sillage,

___________ elle ne doit ni renoncer au monde ni s’y résoudre, mais
___________ le précéder encore comme la fille aimée devint mère.

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20.04_-___ Ayant retrouvé J. B. (après 5 ans de correspondance)
___________ et C. L. à la Boutique pour une soirée Catastrophes,

___________ j’y lus les distiques précédents, qui mettent au travail
___________ l’harmonie du beau groupe de jours et du plein poème,

___________ C. L. ses traductions, J. B. de la théorie, des Os rêvent,
___________ et en racontant les histoires ayant abouti à ce triangle,

___________ il fut question d’huîtres-poèmes, mélancolie-roman,
___________ hologramme-journal, détestation ou obsession d’écrire,

___________ cela convergeant face au public clairsemé (comptant
___________ Y. M.) dans le nœud de la revue qui nous est précieuse ;

21.04_-___ redevenu soudain mari et père, je récupère A. et N. et
___________ nous traversons un quart d’hexagone par les échangeurs

___________ jusqu’à la boîte aux lettres où patientaient face au grand
___________ cerisier déjà tout en feuilles, six livres dont l’un de Y. M.

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22. 04_-___ Je demande à Y. M. pourquoi, lorsque son poème
___________ brouille sa référence d’une pointe méta-linguistique,

___________ il semble devenir (traitant de manière référentielle
___________ son refus d’en céder au réel) une allégorie du langage,

___________ puis cours dans la brume du plateau qui tombe parmi
___________ les fleurs de merisier qui blanc sur blanc surgissent ;

___________ plus tard, A. et N. jouent sur le playground de Morges
___________ avec les moustiques médusés par un drone vibrionnant

___________ et depuis l’herbe je crois discerner C. nageant dans le lac
___________ mais j’ai confondu sa tête avec un foulque macroule,

___________ cette sorte de poule d’eau noire, écusson frontal blanc
___________ qui double le reflet des monts bruns couverts de neige :

___________ nul besoin de l’allégorie, pour que les choses s’attirent
___________ un sens, ni d’un doigt pour pointer le doigt qui pointe.

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