Lacs

par Virginie Gautier

.

.

#1 À Bill Viola, reflecting Pool. Un lac, tu l’approches tranquillement et tu plonges. Mais, arrêté en plein saut, figé dans le paysage, le lac n’attend pas l’arrivée de ton corps. Ai-je bien vu ton corps un instant suspendu ? Le lac, avaler plutôt ton reflet, ton image ? Du temps a passé à l’endroit — tu ressors d’un lac. Du temps revenu en arrière — bien plus tôt. Nu alors.

.

.

#2 À James Benning qui en a filmé 13. Un lac, matter of time, déplie ciel et montagnes. Déplie l’immensité. Il ne s’y passe rien. Déplie une durée, pure contemplation. Répète, ciel et montagnes et puis l’immensité (patiemment). Son temps géologique. Répète une forme fractale (patiemment, mon lac). Les mouvements inouïs de ta respiration qu’un coup d’aile, un avion, une pierre jetée à chaque fois ignorent — quand ce n’est pas la course de ma pensée.

.

.

#3 Définition pour E. Dickinson — un lac : nappe d’eau stagnante située dans une dépression du sol. Étendue, retenue, écosystème. Une immobilité relative. Des mouvements internes mélangent les eaux dont la surface imite bien le ciel. Noires d’orage, ou ridées par le vent, souterraines. Un lac, ce qui se passe dessous. Zone humide partant d’un creux. Sous la peau, une larme. Ouverture, une petite lésion. Ce lac-ci, diminué au printemps comme une goutte d’eau dans un narcisse — in a daffodil, she said.

.

.

#4 (Avec Saint-John Perse). Trouver lac adéquat pour projet de performance. Marcher sur la bordure mouvante et négociable entre la terre et l’eau, la ligne chancelante. Sans visibilité. Sans rive opposée. Tête basse. Un lac, qu’à ne pas regarder on prend pour une mer. Avec pour seul bagage une ligne à tenir, un texte à réciter. J’avais choisi Amers : « Poésie pour accompagner la marche d’une récitation en l’honneur de la mer ». Un lac en l’honneur de la mer. Périmètre infini. Marchant, ouvrant fermant ouvrant, les mots à la jointure.

.

.

#5 In memoriam, R. Smithson. Tout lac incline à engloutir ce qui s’y penche. Une quantité de reflets, une poignée de terre, le vol spiralé d’un hélicoptère. Lors, tu le tiens à distance, tu tournes autour toujours dans le même sens. Tu tournes, tu le cernes, tu l’encercles, sans cesser de te déplacer — tout lac a sa faille. À l’endroit le plus profond, c’est la question du temps qui t’intéresse.

.

.

.

.

[Illustration : Ferdinand Hodler, Lac de Thoune aux reflets symétriques, 1909]

.

.

Laisser un commentaire