Chansons des mers du sud

par Mariano Rolando Andrade. Traduit de l’espagnol par l’auteur et Christophe Manon

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Christ à ‘Eua

I

Il n’y a plus de Noël
si seuls comptent ceux qui ne sont pas là.
Je te préfère ainsi, confiné et loin.
Un plat de nourriture,
un verre d’eau,
personne pour fouiner.

Dans ton dos
la marée a libéré
le labyrinthe de roches,
les champs d’étoiles de mer.
Dans ton dos,
d’autres Noëls guettent.

Les restes du dîner
demeuraient servis
pour nourrir les morts.
Cette nuit, les tiens,
où mangeront-ils ?
Qui laissera la table dressée ?


II

Les premières cloches
ont sonné à cinq heures.
À l’aube, de Tufuvai à Pangai,
le ciel de ‘Eua a bu
les chants de pitié et de ferveur
qui s’écoulaient de chaque temple.

Pèlerin bourru,
tu as choisi la montagne
et ses forêts.
Tel était ton désir
sur ses sentiers perdre le tien
pour tenter le démon.

Peut-être ainsi
avais-tu rêvé,
les spectres d’autres Noëls
avoueraient sans crainte
où tes morts
ont trouvé leur dîner hier soir.

Tufuvai, décembre 2016

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Tasman

Ton nom invoque
d’anciennes cartographies.
Bornes éparpillées par des fidèles
sur des côtes qui vont
du tropic du Capricorne
jusqu’aux mers australes.
Depuis le soleil sur le turquoise
extrême de Tongatapu,
au ciel et à l’océan adverses
de la baie de Dunalley.

Ton sang s’est mêlé
avec celui de Magellan,
Cook et Bougainville.
Adorateurs d’étoiles,
des compas et des cartes vides.
Une dynastie des cavaliers
qui chevauchaient les Mers du Sud.
Prophètes d’empires,
fragments de géographie,
chasseurs du continent perdu.

Ta fin, en revanche,
fut plus cruelle qu’étrange.
Tu n’es pas tombé sur une plage
sous les lances vengeresses,
ni tu n’es parvenu au Sénat à Paris.
Sans gloire et avec dérision
plus Caïn qu’Abel,
ton lot a été de partir de Batavie
riche mais oublié
dans la pénombre de l’historie.

Nuku’alofa, décembre 2016

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Poème de fin d’année à Rotorua

Ne pleure pas.
Sèche tes larmes.

Il n’y a pas de tombes
ni de silence capables
de te voler leurs noms.

Ne cours pas.
Ne fuis pas.
N’étouffe pas le craquement dans la poitrine.
Nous avons tous des dettes
que nous ne payerons jamais.
Il faut apprendre à vivre avec.
Comme avec les absences.

Ne plie pas l’échine
Ne crains pas tes ennemis.
N’aie pas honte.
Tu es leur sang.
Si tu relèves la tête
ils le feront aussi.

Ne te tais pas non plus.
Ne le fais pas.
Ils t’entendent toujours.
Il lisent sur tes lèvres
et ce que dit ton âme.
Ils vivent de tes mots.

N’oublie pas.
Surtout n’oublie jamais.
Aide-les à suivre
le chemin vers ta mémoire.
Arrache-les à la mort
et à la maladie.
Arrache-les encore et encore
aux ténèbres.
Ils sècheront tes larmes,
ils souriront.
Et le jour sera un peu plus beau.

Rotorua, décembre 2016

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Elle n’était pas belle, Hank

Elle n’était pas belle, Hank.
Elle était jeune.
Quand on est devenu
un bouffon mat et solitaire,
on sait que cela suffit.

Elle n’avait pas d’énergie.
Ni d’éclat.
Elle était paresseuse.
Ses yeux brillaient de malice et elle
ne s’en rendait même pas compte.

Elle avait juste trop de cette force
et de cette légèreté
que nous avons perdues
dans des milliers de nuit pour rien.
Nous deux et tant d’autres, Hank.

Rotorua, janvier 2017

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Le départ

Peut-être m’en irai-je
sans avoir rien compris.
Sans avoir
aucune certitude, pas même un éclat.

Peut-être m’en irai-je
caché dans le brouillard d’un hiver,
sans savoir
ce qu’est la beauté ou le printemps.

Peut-être m’en irai-je
et la poussière de la nuit me recouvrira,
et les forêts
m’enroberont avec grâce sans me parler,
comme ces vers
témoins silencieux d’un autre départ.

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Wellington, janvier 2017

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