En coursonnes

Entretien avec Eugène Savitzkaya mené par Guillaume Condello. Lire tous les articles du dossier « La vie en prose »

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Vous parlez, dans Mongolie plaine sale, d’une écriture en spirale, qui irait de la vie au texte, du texte à la vie, etc. tout en approfondissant l’acte même de vivre. Alors comment écrivez-vous, dans la vie de tous les jours ? Qu’est-ce qui détermine le fait que vous vous orientiez vers tel ou tel format ?

La complexité de la mise en œuvre m’échappe. Elle n’est pas franchement dicible et je rechigne à tenter une explication quelconque. Pour la prose, il y eut des prototypes tous parus dans la revue Minuit (« Le pré », « Les lions », etc)  et réédités chez Didier Devillez, patron de la galerie qui expose mes travaux plastiques, dans un ensemble intitulé « Propre à rien ». C’était des recherches formelles sur des personnages ou plutôt des protagonistes qui n’existaient que par les gestes qu’ils commettaient. Les personnages principaux, symboliques ont toujours été la mère, le père, symboliques et demeurés énigmatiques, géniteurs et adversaires et peut-être simples ludions métaphysiques. L’expression « écriture en spirale » n’est pas mienne, c’est un ami qui me l’a soufflée un jour que je devais faire un « discours » à l’université Laval à Montréal et que je peinais à trouver quoi dire. Le premier paragraphe de ce texte est de cet ami obligeant. La vie est ce lieu où j’écris et où je choisis mes matériaux. Pour moi, il n’y a pas de prose poétique ou de poésie en prose, mais une recherche acharnée de modalités de prose, hors toute psychologie. La prose est la plongée au cœur des phénomènes. La poésie est, elle, nouménale, pour utiliser un mot affreux appris récemment, c’est-à-dire idéale, dangereusement idéale, sans idéologie, prospective. Mais pour mettre en évidence ce fameux nouménal, il faut une écriture d’os et de chair et les sécrétions phénoménales et odorantes des apparences. La vacuité de la bouteille et du pot de chambre pour contenir l’atmosphérique pensée. La prose grouille comme un nid de souris ou des vers blancs dans la sciure tandis que la poésie se fige, gèle les mots et les vocables peut-être irrévocables. M’a toujours pesé la longueur de la prose. Jadis, quand on débitait en feuilletons, il fallait faire de la page pour gagner plus de francs, de florins ou d’écus. Aujourd’hui, je ne peux comprendre l’épaisseur des livres, sauf pour ceux qui font parler les témoins des catastrophes majeures. Il me semble que l’infinité des faits connus mérite brièveté et laconisme. Le monde entier est dans une ruche, peu importe les duplications. Vive la concision ! Taillons en coursonnes pour meilleure fructification.

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