Sonnets américains

Par Terrance Hayes. Traduit de l’anglais (USA) par Guillaume Condello

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Sonnets américains pour mon assassin (passé et à venir)

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Je te retiens dans un sonnet américain, mi-prison,
Mi-chambre forte, une petite pièce dans une maison en feu.
Je te retiens dans une forme, mi-boite à musique, mi-hachoir
A viande, pour racler jusqu’à l’os le chant de l’oiseau.
Je retiens ton personnage dans une prise de cou qui l’envoie au pays des rêves
Pendant que tes meilleurs egos regardent depuis les gradins.
Je te fais à la fois gym et crow. Crow,
Tu es le corbeau d’une magnifique catharsis, piégé toute la nuit
Dans les ombres du gymnase. Gym, la sensation des fientes
De corbeau tombant au sol est semblable à celle des étoiles
Qui tombent des posters, sur tes murs, pour motiver les joueurs.
Je te fais boite d’ombre avec en son cœur un oiseau.
Voltes d’acoustique, d’instinct et de métaphore. Ce n’est pas assez
Pour t’aimer. Ce n’est pas assez pour vouloir te détruire.

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Pourquoi tu me cherches des puces, espèce de minuscule tubercule
De musc, revue et délibération, rampant sur les raisons
Et les propriétés que j’ai touchées ou non ?
Quand je manquerais d’insecticide, je prierais pour un garçon noir
Qui te tient sur la flamme avec des pincettes tourmentées
Jusqu’à ce que la pitié s’élève, et disparaisse. Tu as la taille
D’une goutte de liquide qui bégaie – lait, huile de moteur,
Sperme, sang. Oui, petit clou puant, tu es le bijou,
La tête du nœud sur un élégant plug anal, bien calé entre
Le plaisir et le dégoût. Tu es le parfum de pourriture au cœur
De l’amour. La chair, dans ton exosquelette,
Est aussi tendre que Jésus. Neruda parlait d’un « mamelon
Qui parfume la terre » Oui, tu es une mauvaise odeur, une ode
Presque imperceptible à la mort, une minable, une puante punaise.

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Il y a en moi un animal aux yeux noirs
Qui se raidit dans son étroite stalle. Comme si un oiseau
Pouvait grandir sans briser sa coquille.
Comme si le fracas d’un millier de noirs
Oiseaux, battant des ailes dans la tempête, pouvait tenir
Dans une coquille. Il y a en moi un énorme taureau
Noir, roulé en une boule aussi petite qu’une
Perle sur un piercing de téton. Je compte laisser
Une archive de mes extases. J’ai été élevé
Par un bel homme. J’aimais sa compréhension du temps.
Ma mère a façonné ma compréhension de l’espace.
Est-ce que tu préfères passer le reste de l’éternité,
Les ailes furieuses, à secouer ta cage ou bien
Les quatre pattes bien plantées dans un lopin de terre ?

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Sans doute, le crépuscule fait du noir une ombre
Dangereuse. Sans doute, chaque fois que je croise quelqu’un
C’est une bouillie existentielle. Autrement dit,
Un nigga survit à tout. Il s’est passé quelque chose
A Sanford, il s’est passé quelque chose à Ferguson,
A Brooklyn et à Charleston, il s’est passé quelque chose
A Chicago, Cleveland et Baltimore, et ça se passe
Presque partout, chaque jour, dans ce pays.
Sans doute y a-t-il une proie chaque fois que deux hommes se croisent.
Vous refuserez de le reconnaître. Les noms des vivants sont pareils aux noms
Sur les tombes. Sans doute, le crépuscule fait du noir
Une ombre. Une porte. Sans doute, la peau bleu sombre
D’un Noir s’accorde avec la peau bleu sombre
De son fils, comme un crépuscule s’accorde avec le suivant.

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Sonnet américain pour Wanda C.

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Qui je sais sait pourquoi tous ces squelettes si sexy, ces filles éreintées,
Poussent des cris vers là où devrait être la lune, la paupière colmatée
Par sa clarté. Personne ne la voit sans ses créoles embrasées
Aux oreilles parce que personne ne voit rien. Tatouée sur sa poitrine c’qu’elle clame
C’est EMMENE-MOI OÙ MON SANG COULE et je veux être emmené
Là où je suis son fils, parqué dans l’ombre, lâchant la bride au calme
De la nuit, laissant le même sang s’embraser en moi. Dans sa coupe afro en pétard, implantés :
Des obus de tonnerre ; dans sa bouche : les doigts de quelque calamité,
Quelqu’un d’assez fou pour l’aimer follement. Ceux qui n’entendaient
Pas sa musique n’écoutaient pas – et dire ça, c’est comme clamer
Qu’elle est une élégie. Ça rime, à cause d’elle, avec effigie. A cause d’elle, entendez,
S’il n’y a pas de fumée, il n’y a pas de fête. Je pense à toi, Dame Calamité,
Chaque dimanche. Je pense à toi le lundi. Je pense à toi, ta souffrance envoyée
Vers là où devrait être la lune, entrant dans nos ténèbres, d’un pas lourd, calme.

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