Les Regrets

Par Bai Juyi. Traduit du chinois par Martin Bombled. Lire ici une présentation par le traducteur

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ce sage et vaillant prince pense aux filles
et dans son palais doré se languit

tandis que la fille ainée des Yang pousse
formée dans l’intimité de sa chambre

tellement belle on ne peut l’y laisser
et que tous pour l’empereur la souhaitent

son regard son sourire font cent charmes
quand les belles des six palais se fanent

au printemps tremblant dans le bassin clair
elle glisse douce dans l’onde chaude

sort soutenue délicate et flottante
lorsque l’empereur répand ses faveurs

cheveux doux peau pétale et broche d’or
voile de lotus nuits de printemps douces

nuits de printemps au petit jour amères
sa majesté déserte les matins

pleins d’attentions prodiguées sans répit
les printemps passent acquis à la nuit

au harem du palais trois mille femmes
trois mille petits soins tout à un corps

dans la chambre d’or parée pour la nuit
dans la tour de jade ivres de printemps

on donne aux frères et sœurs une terre
et c’est toute la famille qui brille

l’ordre des choses aux yeux des parents
place les filles avant les garçons

en haut le palais de li troue l’azur
et perle le vent musique du ciel

danse et charme de bambou et de soie
à la nuit l’empereur en redemande

mais terre les tambours de Yuyang battent
et brisent l’air des plumes arc-en-ciel

la guerre menace le grand palais
bientôt le grand convoi fuit au sud-ouest

le vert royal flotte stoppe et repart
à déjà cent lis de la porte ouest

la sixième armée tranche plus de choix
devant les chevaux meurt la belle dame

personne ne ramasse les fleurs d’or
la barrette de jade l’oiseau d’or

lui impuissant se couvre le visage
et sous ses yeux le sang se mêle aux larmes

vent épais de terre jaune et douleur
nuages roulés à Jiange ils montent

et peu nombreux d’Emei shan ils approchent
les drapeaux sans éclat le soleil pâle

torrents du Sichuan de jade et monts bleus
sa majesté souffre en corps amoureux

de la lune il prend la couleur brisée
dans la pluie la nuit son tourment résonne

tout autour de lui ciel et terre tournent
se sentant faillir il peine à partir

sur les contreforts rocheux, dans la boue
feu beauté, que le vide de la mort

tous se voient noyant leur robe de larmes
la ville à l’est guidés par leurs chevaux

les jardins et les lacs n’ont pas changé
lotus du Taiye, saules de Weiyang

lotus visages et saules sourcils
comment ne pas pleurer devant ceux-ci

des fleurs de prunier dans les premiers vents
aux soirs sous le wutong des pluies d’automne

l’herbe envahit le palais du sud-ouest
les feuilles oubliées les marches rouges

les jeunes chanteurs ont pris cheveux blancs
vierges fraîches et eunuques ont vieilli

dans le hall triste le soir, la luciole
suit une lampe mourante insomnie

les lentes heures sonnent la nuit noire
la voie lactée brille en avant l’aurore

deux canards lourdes tuiles gelées glissent
lui, seul sous son manteau de duvet, tremble

et ainsi coule une existence absurde
sans qu’elle ne revienne même en rêve

jusqu’au jour où de Linqiong vient un prêtre
pieux et apte à convoquer les esprits

devant l’empereur brisé il médite
et déploie toute sa bonne magie

bientôt fendant les airs comme l’éclair
il monte au ciel fouille toute la terre

partout du bleu là-haut aux sources jaunes
elle reste introuvable dans tout ce vide

quand soudain sur la mer une montagne
magique perce nuées et néant

de cinq nuages pointent des toits d’or
de toute beauté où trônent des fées

dont l’une d’elles qu’on nomme Taizhen
peau pétale de neige elle si pure

tour d’or bord ouest il frappe sous le jade
presse Xiaoyu d’amener Shuangcheng

voyant que le moine est à l’empereur
belle elle écarte le voile aux neuf fleurs

pense pousse son oreiller s’habille
puis des panneaux d’argent glisse aux rideaux

de perles cheveux défaits au saut du lit
corolle déclose elle va au grand hall

ses manches immortelles dans le vent
ainsi les robes plumes arc-en-ciel

elle jade pur traversée de larmes
pluie de printemps sur fleurs de poirier

elle loue son prince les yeux brûlants
car l’autre n’est plus qu’une trace vague

de ces jours d’amour au palais Zhaoyang
quand à Penglai jours et mois s’éternisent

elle voit en bas le monde des hommes
et Xian dans le brouillard disparaître

on y fait plus l’amour comme on soulait
au mage elle confie boîte et broche d’or

de sa broche et sa boîte deux pétales
broche et boite qu’elle effeuille en partage

quand ces cœurs persistent tels des fleurs d’or
le ciel la terre peuvent se rejoindre

aux adieux elle redit son message
ces mots le serment de deux cœurs liés

au septième jour de la même lune
à minuit désert dits tout en murmures

que l’on soit au ciel d’un oiseau les ailes
que l’on soit sur terre une seule branche

ciel étiré terre vieillie tout passe
sauf ces regrets que sans fin il soupire.

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