Qui-vive

par Jihen Souki

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I.

Rue Lyon
Le de tombe dans un champ de morelles
Fleurs violettes et feuilles vertes velues
Qui longe la rue
______ Qui longe les rails
______ ___ Qui longent la grue rampante
______ ______ Dans l’air du temps

Dans la rue, personne. Les morelles
Font pousser leurs feuilles grêles
(on dit qu’elles drageonnent)
Sur le trottoir. La rue
Est d’asphalte, rase. Rase et grise
Qui longe le mur
______ Qui longe les bourgs
______ ___ Où quelqu’un
______ ______ Sans cesse
______ ______ ___ Dans ton dos
______ ______ ______ Surgit.

Le train
Soudain
Rugit.

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II.

Trois poèmes, un.

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1.

C’est un reste de soleil éteint
lové dans les nuages.

Ce soir, tu marches avec ce feu pâli
jusqu’à la cendre
tes paumes
_________ incandescentes portent tout entier
_________ ton corps, aveugle à ceux
_________ qui vont, sans te voir, vivant
_________ jusqu’à la cendre.

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2.

Ce soir où tu n’attendais rien
____-____._____‒ vraiment ?
te voici les mains ouvertes,
fermées, les poings fermés
sur un morceau de feu pâli
entre deux bordures de crête

Porté par le soir aveugle en toi
qui va
sans voir
sans t’effrayer, tu marches
__________________ le corps aveugle à ceux qui vont
__________________ sans voir, sans te voir
__________________ vivant
__________________ lové dans les nuages

__________________ Jusqu’à la cendre.

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3.

entre deux bordures de crête, lové
le feu secret des cendres
à venir.

Un vol
dans ton dos
palpite dans les branches, tu marches
____________________ sans t’effrayer
____________________ sans voir
____________________ ceux qui vont, sans te voir
____________________ porté sur l’aile du soir aveugle
____________________ ______________________________ en toi
____________________ qui va

____________________ à l’encontre de la mort.

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III.

Octobre le vent croule dans les arbres
La nuit est lente et les feuilles en pleurs
prennent l’air en passant
Seuls
la nuit
les passants des cent pas, qui vont
qui viennent
qui reviennent
sont pris au vent qui croule
dans l’eucalyptus.

Les étoiles sont en masse, trouées d’étoiles
et la nuit qui s’avance aguiche
les cigales, qu’on ne voit pas
l’hiver,
qui les tuera.

Et tandis que la fourmi aveugle longe les cent pas des cent passants
qui reviennent et sentent la sueur
d’attendre, dans la nuit
qui s’en va
Seuls
l’eucalyptus,
la nuit
les étoiles
n’habitent pas le vent
pris en passant dans les feuilles en pleurs
qui gouttent le sang.

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Ce soir-là,
la vague des moustiques avait
cessé, son saccage écumeux
son sucement
qu’on ne voit pas.
La pluie avait cessé, ses cordes
fouettant la terre,
les toits,
lave la sueur
d’attendre
qu’on ne voit pas.
L’été avait cessé, la chaleur
grande, ses brûlures
ses suçoirs, ses siestes
cessé
cédant la pluie
ses cordes
ses eaux
à ce qu’il y a là
derrière.

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Je courus dans la plaine. La terre avait séché. La pluie avait battu la terre, cédé la plaine à des jours de chaleur trouble qui fit lever des vents de moustiques. Je courus, battant la terre. Le silence était grand. Le bruit de mes pas, hachement de feuilles sèches, me fit tressaillir. Je m’arrêtai, tout céda. Je m’approchai d’un arbre et y portai la main. Une branchelette frêle perçait, qui m’en détourna, avec, au bout, deux trois feuilles. Les traits de l’écorce, pendant que je regardais, courbes, charnus, se murent, la branche tremblait, les feuilles, sa pointe tressaillit en moi. Et je vis, dans la nuit ferme, s’allumer le regard de Vincent.

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À la Maternité, le 18. 10. 2017.

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Une pluie de plumes s’est abattue sur la ville depuis que les hyènes, chassées à coups de fouet, l’ont quittée. Un amoncèlement de plumes, de duvets, dont les uns ont cru pouvoir tirer la farce de leurs fourres, les autres des bonhommes de neige pour leurs enfants. Les enfants sont morts étouffés par des hoquets d’asthme qui leur roulent dans les veines. Les autres, asphyxiés dans leurs couches on continue, à l’heure qu’il est, de les glisser dans les dépotoirs vacants, pour regarder les oiseaux becqueter leurs yeux rougis d’espoir, et arracher d’autres pluies, au ciel déplumé.

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Le même mois, ou au printemps 2018, je crois.

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[Illustration : Raoua Hanzouli]

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