Jardin de la joie (extrait)

par Maria Grazia Calandrone
traduit de l’italien par Guillaume Condello

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toute la vie n’a été qu’un exercice pour revenir
à ton corps
chaud comme la terre

et pourtant j’écris à propos de la solitude

de débris d’os
dans des bassins de sable
fouillés
avec les yeux des singes qui cherchent un abri

des corps comme des bols renversés
la cuvette des crânes remplis de ciel

*

tu sentais bon le vin et le blé mûr, la maison
fenêtre ouverte sur la colline labourée

surtout le matin

tu resplendissais le matin
comme de l’eau jetée sur les bras

ta voix était nue comme l’eau

*

je reconnais à son pas l’animal
qui a vécu et n’a plus d’abri

*

parfois tu m’embrassais
comme les palais s’entourent
quand ils crèvent

et la maison était pleine du sifflement de l’électricité et de ton odeur

de tilleul et de mer
aérée

*

l’ombre sous le jardin
était la frontière

dehors il y avait la sauvagerie des animaux
et l’azur de l’herbe

la terre était une extension de ta chair humaine qui tournait tremblait et se contractait en faisant des plis
sur le drap nuptial

ta chair refermée comme la branche
rabattue par le poids de la neige

*

quand tu ouvrais la porte sur le jardin ça recommençait
la matinée de Pâques

les sonnailles lointaines des clochers
se dissolvaient en écho sur la vallée
remuant au fond
du mouvement des troupeaux

sur le seuil
la tâche menue de ton ombre
polissait le dos de l’animal
avec la même douceur

*

je voulais écrire à propos de la joie

l’odeur de ton souffle dans le cœur
de l’été

de la morsure
légère de tes dents juste au bord
la lumière de la lune

coule dans les flaques
le blanc des astres

*

douce comme le sable

tu es l’agneau
sur l’herbe qui tremble

*

le sillon de ton corps
blanc comme une étoile
qui ne cicatrisait pas

brillait de ta propre lumière
me protégeait

*

après la séparation d’une étoile-mère l’univers
se retourne
avec la lueur blanche des yeux de l’animal

*

c’est pour ça
ce rayon de soleil sur la vaisselle
pour la calme solitude
des choses
et pour le séjour lumineux
des choses en elles-mêmes

que nous restons en vie

*

il fut un temps
où je désirais mon salut

tu marchais sur le blanc de la glace
pendant que le soleil descendait derrière les chênes
et le monde n’en finissait pas d’exister

je te désirais honnêtement
comme on désire le bien

*

comme alors tu ressemblais à l’été
quand dans les soirées on sentait l’odeur de l’eau
et que la terre était imprégnée des humeurs humaines

s’ouvrait
à travers la porte nue de ton corps
cette chose nue
qui est sous la terre et que nous ne pouvons toucher

nous pouvions même caresser les animaux
gris et sauvages

ils ne demandaient pas à manger
mais notre douceur

on pouvait les appeler par leur nom

tu laissais entrer
tout
dans la vive
pâte à pain de ton corps

la voûte chargée d’étoile et les museaux
des bêtes résonnaient
dans ton levain

tu étais heureuse

*

le chant des cigales
a un lien secret
avec l’enroulement de tes vertèbres

les cymbales vibrent
sous l’abdomen
comme vibrait ta chair

le saule tremble
comme tu as tremblé

*

l’enfant qui imagine le soleil
a les yeux chauds comme deux gouttes d’ambre

maintenant tes yeux sont presque noirs, pleins d’esprit

*

le pavé lavé par la grêle, le poids
des oiseaux blancs qui s’élèvent
vers le soleil qui descend

dans la grâce parfaite de la route
au-dessous de nous

la colonne de ceux
qui savent vers qui revenir

je ressens le besoin de m’appuyer sur ton bras
je reste immobile

*

nous sommes immobiles dans le monde ces choses
chantant par cycles, de manière répétée

nous déposons
des œufs sur l’écorce, encore
et encore

si quelque chose renaît de la cendre
il persiste comme un souffle
sur ta bouche

*

bien sûr quand tu te lèves ta bouche est prête
malléable

tu n’as pas voulu que j’apprenne tes secrets

j’attache mon âme avec des câbles d’acier
à l’arbre maître
de ton jardin

je te garderai jusqu’à la fin du monde

*

assise sur la pierre je chante la pierre
les singes
et les plaques d’os du crâne
qui se détachent comme des continents

je chante le vent léger que nous ne sentons pas et qui souffle
dans la distance entre les étoiles

je chante notre étendard
qui claquait au vif de l’esprit romain

je chante le lit de feuilles
et la coquille candide de la nymphe

et je chante l’or cru de tes yeux
simples et transparents comme un oui

*

à genoux tu as la dureté du tilleul

et des feuilles
très légères et claires

tu me reconnais et je te reconnais

*

les choses fortes
sont mobiles et nues

je suis une cendre qui chante ton nom

*

le corps nu, le corps humain, le sexe

une rose
c’est la rose de toutes les roses

la rose contredite
par les habitudes de la vraie vie

*

ta langue cette nuit a parlé
dans la conque de mon oreille

puis à travers la bouche
tu mets le pain et le salut
dans mon âme

*

la fleur d’oranger
est un hymne blanc ouvert
du côté de l’aube

tu as la légèreté des choses
qui ont enduré le bonheur

*

nos corps ont résisté à la chaleur
de la fusion

maintenant que nous sommes exposées
au bonheur

chaque mot prononcé
signifie
merci

*

quand tu t’exposes tu es le plein été
avec sa gloire d’arbres mûrs

je passe la main sur ton corps sec

marbre et mousse et pétales
de cerisiers en fleur

*

ton dos divisé
par un sillon de labour
brille au milieu du pré

quand tu te retournes
le ciel ne pèse rien
sur ta poitrine

ta main est une hostie sur la lave au centre de la terre

*

dans ta bouche reposaient les ombres de tous les animaux

dans tes baisers, l’insomnie de tous les animaux

dans le claquement de tes dents la cloche du premier matin

ta langue connaissait mon nom
jusqu’au matin de ma naissance

*

elle tremble, chaque molécule de cette âme unique que nous sommes
redevenues

si tu dis amour
les autres mots
disparaissent

et quand moi aussi je disparais enfin je suis

*

la rose au milieu de ton corps
a le parfum d’un temple naturel
d’un rocher au milieu de la mer qui se soulève
scintillant et humide

sous le mur d’eau qui retombe sur lui-même
et sur la jetée glissante et blanche
tes bras

ma vie dans le creux de ta main

*

regarde moi
je suis la vie dans l’or des galaxies
je suis le pain déposé
à tes pieds
après la première récolte de la création
soumise à l’humain
tu es la moisson
hors du temps humain

*

ta bouche a la chaleur des prés en août
ta bouche exprime les corolles
blanches qui frémissent sur les rives

et la douceur des genoux
des enfants, qui savent
l’immensité du temps dans le temps humain

*

tu es tombée du vase des étoiles
dans ce lit
et ce sont les tiennes, ces miettes de chair
irriguées, liées
par de fins filaments électriques
à la lune qui resplendit, pleine,
sur le magnolia

tu exposes ton visage au noir sur la fontaine

la pleine lune tourne sur son axe
comme tu tournes te tournes sur le côté
et je voudrais que tu t’endormes
comme de ton vivant

*

l’ombre simple du corps pendant l’amour
le va et vient
des bijoux sur le cou

et l’émail des dents
resplendit, nu

ta langue
pointe, claire, entre les lèvres obscures

*

les cheveux noirs comme le blé, gonflée
à l’inflorescence
comme l’agave, tu étais plus grande

que toi-même, plus grande
que ta vie.

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