4 poèmes

par Jules Masson Mourey

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Ascendance

on m’a raconté souvent l’histoire de ce peuple grotesque des hauts pâturages de Provence
veneurs de serpents et de marmottes
pour la graisse et pour le venin
forgerons, troqueurs de minéraux
et cueilleurs de champignons
ils disaient femme et louve avec le même mot – la Science n’en était qu’au début !
mais ils savaient le secret pour emprisonner la foudre à l’intérieur de vases en terre cuite grâce à d’épais bouchons en cire d’abeille et aussi, à Noël, faire pousser les roses le long des sources
leurs aïeux étaient prétendument des mages venus de loin
d’eux, ils ont conservé la manie de marcher la nuit
la connaissance excellente des constellations
bien avant l’invention du télescope
le goût pour les chapeaux à larges bords découpés dans du cuir de vache
la coutume de brûler les morts
le culte des idoles au dégel
quand les pierres précieuses éclatent en pleurs
les garçons, cette façon de monter en collier des têtes de frelons géants pour montrer leur courage
et les jeunes filles (aux aisselles très tôt sombres), cette concupiscence juste avant les fenaisons

j’ai vu mon visage dans l’eau
je sais que je suis de la même race
car moi aussi j’ai les pommettes cuivrées
le menton tatoué
les mœurs violentes
la vénération pour les sommets
et jamais je ne veux aller dessous la terre

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Vieilles plaies

C’est qu’à la cheville gauche je porte la morsure orange du tigre
à la droite celle du loup noir
comme deux punitions d’une faute commise il y a si longtemps
que je n’en sais plus rien
Enfant, je léchais mon sang en riant
ce devait être épouvantable – j’étais baptisé pourtant
du moins, on m’a assis sur l’autel d’une chapelle de métropole (hélas)
et l’on a appliqué sur mon front la sainte huile
Rien ne pouvait me calmer, sauf la part ensauvagée de la mer
que l’on m’a appris à regarder bien droit
à qui l’on m’a appris à dire des prières
à jeter des fleurs et à offrir des demi-gâteaux aux fruits confits, après l’orage
quand la plage et les jardins sentent fort
afin qu’elle soit toujours là plus tard
c’est-à-dire maintenant que mes pieds font toujours mal
mais que j’ai perdu l’appétit pour mes propres chairs

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Solstice

Et quand ce fut très bientôt le moment du tout premier été
– je revois arriver d’en-haut la senteur puissante des herbes multicolores,
celle aussi des longs animaux faufilés entre les sapins
et je me rappelle bien le curieux parfum des fraises des bois et des coléoptères montés en broches sur les cœur lactescents des dames –
on rouvrit grand les yeux la bouche et les greniers festonnés à la bénédiction du vent du Nord
on fit du café
et l’on purifia avec des feuilles de sauge séchées les murs encore douloureux
du fond des caves, ceux-là tirèrent des paquets de tabac et puis des bouteilles de liqueurs italiennes et des tommes grosses comme des meules
aux fronts froids des génisses, ceux-ci plantèrent les médailles d’or brun qui conjurent le mauvais sort, éloignent les ours
et aussi la Masca
Chacun plia et rangea son tablier noir.
sous le toit de l’église le maire ordonna qu’on suspende une belle cloche en fer pour sonner les noces à venir et pour saluer la venue du solstice et les âmes des enfants à naître
le vieux curé montra du doigt Antarès et les Pléiades
et les filles, elles, prirent des airs et des manières de renardes

Moi,
j’appris fiévreusement à lire le latin, l’avenir dans le vol des choucas
à soigner les blessures des petites bêtes, à trouver des filons, des fontaines et des météorites
et dans l’ombre de l’homme
en attendant d’aller là où je vais
je soufflais sur les braises comme un jeune diable

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Meraviglie

Je vis au pied de cette montagne mugissante ; mes valeureux ancêtres y ont noté les éclipses, compté les troupeaux, pour que nul n’oublie. Je traie le lait des mamelles du ciel cornu – caché dans les nuages, un chien aux prunelles bleues fait tinter les grelots et s’enfuir les saumons.
J’ai tout Le Temps.
Pour les voyageurs de passage, le gîte et le couvert. On boit en silence un vin râpeux. Au vrai, j’ai beaucoup trop à dire pour avoir envie d’en parler. Ils laissent en repartant quelques poignées de cristaux rhomboédriques et des edelweiss que je jette au feu. Je ne suis pas un sentimental.
Dans mon rêve, je faisais commerce autrefois des pierres de foudre et des cornes semées par les chèvres férales que de savants apothicaires venus des villes du Piémont m’achetaient pour en faire des onguents, leurs cannes à pommeaux de glace appuyées contre la cheminée pendant que nous marchandions.
À la fin de l’été, ma barbe sera de la laine et les os de mes mains du bois de mélèze. Il faudra alors moucher les lampes, tourner trois fois la lourde clé d’argent au fond de la serrure de la grange et me rendre à l’appétit millénaire du lac. Ah, que n’ai-je pas mieux chéri encore ces jours de contemplation couché parmi les épilobes et les chardons ?

[Illustration :

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