Mémorial

Traduction d’un extrait de Memorial d’Alice Oswald (2011) par Bastien Goursaud.

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PROTÉSILAS fut le premier à mourir
C’était un homme déterminé qui se jeta vers les ténèbres
Avec quarante vaisseaux noirs qui laissaient la terre derrière eux
Les hommes prirent la mer avec lui depuis ces falaises illuminées de fleurs
Où l’herbe permet à toute chose de croître
Pyrase Itone Ptéléon Antrôn
Il mourut en plein saut voulant toucher terre en premier
Il laissait sa maison à moitié construite
Sa femme se précipita au-dehors en se lacérant le visage
Son frère Podarkès en tous points moins impressionnant
Reprit le commandement mais c’était il y a fort longtemps
Il est enfoui dans la terre noire depuis des milliers d’années

Comme un murmure de vent
Lance une rumeur de vagues
Une longue note qui monte
L’eau pousse un soupir profond
Comme une vague sur la terre
Quand le vent d’ouest court au travers d’un champ
Qu’il espère et qu’il cherche
Rien à trouver
Les épis de blé remuent leur tête verte

Comme un murmure de vent
Lance une rumeur de vagues
Une longue note qui monte
L’eau pousse un soupir profond
Comme une vague sur la terre
Quand le vent d’ouest court au travers d’un champ
Qu’il espère et qu’il cherche
Rien à trouver
Les épis de blé remuent leur tête verte

ÉCHÉPOLOS impeccable guerrier
Toujours placé devant ses hommes
Connu pour avoir la froide concentration des graines
Se débattant en tous sens au milieu des lances
Mourut aux mains d’Antiloque
On aperçoit juste au-dessous de l’arête le trou dans son casque
Où passa la pointe de la lame
Avant de se planter dans son front
Et de laisser les ténèbres lui dégouliner sur les yeux

ÉLÉPHÉNOR d’Eubée à la tête de quarante vaisseaux
Fils de Chalcodon on ne sait rien de sa mère
Mourut en tirant derrière lui le cadavre d’Échépolos
Sa chair apparut brièvement sous son bouclier alors qu’il se baissait
Agénor le poignarda pendant la neuvième année de la guerre
Ses cheveux longs lui tombaient dans le dos

Comme les feuilles
Parfois allument leur flamme verte
Et la terre les nourrit
Et parfois elle les éteint

Comme les feuilles
Parfois allument leur flamme verte
Et la terre les nourrit
Et parfois elle les éteint

SIMOISIOS né sur les rives du Simoïs
Fils d’Anthémion sa mère une bergère
Suivait encore son troupeau quand elle lui donna naissance
Jeune homme prometteur agile encore célibataire
Se heurta à Ajax durant la neuvième année de la guerre
Et il mourut sur sa lance empalé en pleine course
La pointe le transperça d’un coup au niveau du téton
Et ressortit à l’omoplate
Il s’effondra dans l’instant douleur indicible pour ses parents

Et LEUCOS ami d’Ulysse
On sait peu de choses sur lui hormis sa mort
Et puis le visage de quelqu’un transpercé comme un morceau de fruit
Fils de Priam c’était un homme malchanceux
Qui gagnait sa vie dans le pays des chevaux
Au nord de Troie il reculait
Quand l’ombre le frappa d’un bruit sourd
Il s’appelait DÉMOCOON

Comme un homme recule
En voyant un serpent tout près de son pied
Dans un creux de bruyère
La peur fait vaciller ses genoux elle
Aspire son sang il pâlit et recule

Comme un homme recule
En voyant un serpent tout près de son pied
Dans un creux de bruyère
La peur fait vaciller ses genoux elle
Aspire son sang il pâlit et recule

DIORÈS fils d’Amaryncée
Frappé par un trait de silex
Mourut dans une mare de ses propres entrailles
Plaqué dans la boue il gît
Les bras tendus vers ses amis
Et PIROOS le Thrace
On le reconnait à ses cheveux noués
Est étendu à ses côtés
Il le tua et on le tua
On dirait qu’on ne peut faire un pas
Sans voir ces silex noirs

Comme à travers les herbes articulées
Le chevreuil perché sur ses longues tiges
Est sur le point de disparaître
Mais un chien de chasse a déjà trouvé ses traces aplaties
Et il se lance à sa poursuite à travers le champ

Comme à travers les herbes articulées
Le chevreuil perché sur ses longues tiges
Est sur le point de disparaître
Mais un chien de chasse a déjà trouvé ses traces aplaties
Et il se lance à sa poursuite à travers le champ

Le prêtre d’Héphaïstos
Le visage brûlant d’avoir tant fixé les flammes
Faisait chaque matin la même prière
Mon dieu par pitié respecte mon statut
Protège mes fils PHÉGÉE et IDAIOS
Calme leurs chevaux soulève-les
Hors du combat légers comme la cendre
Héphaïstos l’entendit mais il ne put
Retenir ces garçons
Qui filaient bien trop vite sur le champ de bataille
Ils se trouvèrent sur la course d’une lance
Et comme une porte d’ascenseur qui se referme
L’incompréhensible Héphaïstos
Écarta l’un d’eux
Et l’autre mourut

Qu’arriva-t-il à cet homme venu d’Alybé loin à l’est
Qu’arriva-t-il à ODIOS qu’arriva-t-il à PHAESTOS
Il venait de Tarne où la terre meuble s’effrite

Comme la neige qui tombe comme la neige
Quand les vents s’animent et morcellent les nuages
Comme des ailes de silence qui plongent à toute vitesse
Pour arrêter la terre et son labeur de feuilles

Comme la neige qui tombe comme la neige
Quand les vents s’animent et morcellent les nuages
Comme des ailes de silence qui plongent à toute vitesse
Pour arrêter la terre et son labeur de feuilles

SCAMANDRIOS le chasseur
Connaissait tous les chevreuils de la forêt
Il entendait la voix d’Artémis
L’appeler dans le no man’s land
Lunaire des montagnes
Elle lui apprit à pister ses animaux
Mais impartiale la mort tua ce tueur
Désormais les flèches d’Artémis ne peuvent rien pour le relever
Son bras qui tirait avec tant de précision est inutile
Ménélas lui planta
Sa lance entre les deux épaules
Un seul coup et la pointe ressortit entre les côtes
Strophios était son père

Comme quand une mère se dépêche
Et qu’une petite fille s’accroche à sa robe
Qu’elle veut de l’aide qu’elle veut des bras
Qu’elle refuse de la laisser marcher
C’est comme regarder à travers elle l’âge adulte qui la surplombe
C’est vouloir être légère à nouveau
Vouloir être soulagée de ce poids qu’est le fait de vivre
Et être portée sur une hanche

Comme quand une mère se dépêche
Et qu’une petite fille s’accroche à sa robe
Qu’elle veut de l’aide qu’elle veut des bras
Qu’elle refuse de la laisser marcher
C’est comme regarder à travers elle l’âge adulte qui la surplombe
C’est vouloir être légère à nouveau
Vouloir être soulagée de ce poids qu’est le fait de vivre
Et être portée sur une hanche

Adoré d’Athéna PHÉRÉCLOS fils d’Harmon
Très doué de ses mains et issu d’une longue lignée d’artisans
C’est lui qui bâtit la flotte maudite de Pâris
Sans savoir que ces bateaux le mèneraient à sa propre mort
Mourut à genoux en hurlant
Mérion lui planta sa lance dans les fesses
Et la pointe lui perça la vessie

Et PÉDÉOS celui dont personne ne voulait
L’erreur de la maîtresse de son père
Sentit le choc brûlant de la lance de Mégès dans son cou
Mal de gorge métal impossible à avaler
Qui lui brisa les dents
Il mourut avec le fer de la lance dans la bouche

Comme quand soudain l’orage gronde
Et un vent de tempête s’abat
Et rugit aux oreilles de la mer
Et les courbes d’innombrables vagues tâchées de blanc
S’élancent d’un côté puis de l’autre

Comme quand soudain l’orage gronde
Et un vent de tempête s’abat
Et rugit aux oreilles de la mer
Et les courbes d’innombrables vagues tâchées de blanc
S’élancent d’un côté puis de l’autre

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