Automne, 1

par Dorothée Volut

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Sur la place de la fontaine où nous arrivons avec mon fils, les villageois se sont réunis pour écouter le discours du maire autour du monument aux morts de la première guerre mondiale. J’avais oublié : nous sommes vendredi 11 novembre.

Depuis l’oliveraie où nous nous rendons, nous entendons monter un chant. Je m’immobilise. C’est la marseillaise reprise en choeur par toute l’assemblée.

Tandis que nous déposons les filets aux pieds des oliviers, les détonations répétées des entrainements militaires ukrainiens sur le plateau de Canjuers, nous parviennent.

L’air est encore humide des orages d’hier. J’imagine les micro-gouttelettes d’eau en suspension conduisant les sons jusqu’à nous. Comme si nous appartenions irrémédiablement à la résonance.

Le ciel est bleu, je parle de la guerre avec mon fils. De ses lointains ancêtres partis au front et qu’il n’a pas connus.

Hier, des hélicoptères survolaient la forêt de si près qu’il me sembla, à un moment donné, qu’ils me passaient sur le corps tandis que je montrais à Ayar la pratique d’un kata au sol dans la yourte.

Le soir tombe dans les oliviers, je suspends mes gestes au-dessus du tas de perles noires pour observer la lumière à la croisée des arbres. Je me souviens d’un film iranien d’Abbas Kiarostami qui s’intitulait A travers les oliviers. J’étais étudiante. Restée longtemps seule dans la petite salle éteinte, j’avais soudain senti ce qui me reliait à ce pays.

Puis mes mains replongent dans les olives récoltées, et j’essaie de placer toute mon écoute sur le frottement des feuilles sèches et aiguës qui vont et viennent entre mes doigts. Le silence du frottement agit comme une porte ouverte sur un renversement.

Quelques secondes suffisent pour que me parcourent des particules infinitésimales d’une matière invisible qui animait autrefois ces ancêtres et continue aujourd’hui le voyage à travers moi, sans pouvoir bien distinguer quelle est la cible vers laquelle, ensemble, au-delà des frontières, depuis des siècles, nous allons.

Le souvenir me traverse d’une conversation autour de la mémoire minérale et végétale.

Tout ce jour parle d’une paix comparable au rêve dont je sortais ce matin, et dans lequel les habitants d’une capitale redécouvraient, entre les murs, leurs anciens animaux vivants, comme un futur se tenant là, enfoui.

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