Paradisiaca (2/2)

par Elke de Rijcke. Lire le premier épisode

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PARADISIACA. UN LAC-OPÉRA

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HORMONES. BILAN ET PERSPECTIVE
(jeu de la montée et de la descente, 4)

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la poupée se demande à quoi elle joue.

joue-t-elle ?

elle a l’impression de rêver un poème d’amour
mais sa réalité bleu cobalt est qu’elle l’ignore.

l’obscurité frappe son cœur plus foncé,
parfois noir d’intranquillité barbare.

elle se couche par terre.

pas de chemin mais fourchu.

elle tombe raide morte, se penche sur
c’est quoi un chemin. et se redresse.

gravit la colline qui médite. ou est-ce elle qui médite ?
ce qu’elle était, adviendra, elle et la colline.

le moment après elle debout dans une goutte,
microscopique [négligeable
mais sur-consciente]

comme quoi, la taille.

éjecte ses sondes et attend.
diagnostiquer la prend :

c’est quoi ici, et elle là-dedans

étoffe si fine le motif de son séjour opère[1] voilé
comme une eau verte.

ses yeux sont rivés à la brume, vert déroulés.

son âme est-elle
légère déjà, très vieille soie, presque prétendue

solaire perdu. où est donc sa joie.
puissance 1000 les voiles de la tristesse.

[1] “And what you thought you came for / Is only a shell, a husk of meaning / From which the purpose breaks only when it is fulfilled / If at all. Either you had no purpose / Or the purpose is beyond the end you figured / And is altered in fulfilment”, Eliot, Four Quartets, pp. 92-93 (« Et ce pourquoi tu croyais venir / N’est qu’une peau, une coquille de sens, / dont le motif perce dans le meilleur des cas / S’il est accompli. Ou bien tu étais sans motif, / Ou bien le motif se situe au-delà du but ciblé / et se transforme lors de son accomplissement », trad. de l’anglais par EdR).

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elle flanche raide morte, non redressable.
descendra quand même les sentiers.

les choix ont tranché pour elle,
à son insu.

vache folle près des rivages.

autour, les voiles.

perturbations par
trop forte accélération de son cerveau.

disque conique de renard
croise son chemin et lui dit : tu dois

dois déposer, dépose ton corps.
ne vois-tu donc pas, usé jusqu’à l’os.

et ta volonté elle aussi doit être congédiée.
remercie-la, dit le renard, elle te trahit.

― refusé.
mais tout à coup elle voit.

d’ailleurs, elle aussi trahit sa volonté.
elle est ailleurs déjà. aussi sont-elles quitte.

la poupée est consternée.

à allure le renard lui dit : ton esprit,
à la dérive. sans ancrage et bientôt

flamme féroce, onde crépitante, pharynx.

maintenant tard. l’obscurité coud autour du lac.

le renard à yeux soudain signal, signal : apeuré

à cils écarquillés
voit l’âme de la poupée.

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elle clignote bas, coincée.
à museau endommagé tâtonne la brume.

la poupée présume que son paysage tourne.

qu’hormones l’ont à la loupe.

couchée sur la balance elle attend son bilan.
oui, c’est exactement là où elle se trouve.

compromise.

dans une liquidation révoltante
sur laquelle elle n’a pas, mais pas la moindre.

et il y a enjeu.

déjà des lésions aux poumons

plages diffuses la tournoient, elle obscure s’appuie
sur son intuition qui ne répond.

sa boussole tourne rose,
tombe[2].

désespérée pétale, elle se remet à la colline.

gravir. à nouveau.

le sentier est vieille tige mais le chemin est frais.

l’aube sans repères
à chemin pas encore blessé [chemin] [3].

et partout des gouttes, des milliards de gouttes

comme des visages
depuis une autre époque.

déclinaisons de la forme silence

[2] “There is, it seems to us, / At best, only a limited value / In the knowledge derived from experience. / The knowledge imposes a pattern, and falsifies, / For the pattern is new in every moment / And every moment is a new and shocking / Valuation of all we have been”, Eliot, pp. 54-55 (« La connaissance qui provient de l’expérience n’a selon nous qu’une valeur limitée. / Cette connaissance impose un motif et falsifie, / Puisque le motif est nouveau à chaque instant / Et chaque instant, un recalibrage nouveau et / Perturbant de tout ce que nous avons été », trad. de l’anglais par EdR).
[3] Le chemin vers le haut et le bas est un seul chemin (phrase 60, Héraclite).

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silence elle perçoit, grands corps sonores

terreaux parfumées
sur ses bras.

raccourcis vers ce qu’elle fut jadis sans avoir pu[4].

sa boucle se boucle.
elle scrute cette question.

le perle où elle se tient illumine sa pupille

Dante, Paradiso
Canto 2023 [5]

[4] « Time present and time past / Are both perhaps present in time future, / And time future contained in time past », Eliot, pp. 28-29 (« Le temps du présent et celui du passé sont probablement actuels dans le temps du futur / Et le temps du futur contenu dans celui du passé », trad. de l’anglais par EdR).
[5] Quelques mots de Paradiso réimaginés anno 2023 depuis la bouche d’une femme.

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[Illustration : Elke de Rijcke]

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