[ɗɑh]
(DANS LA NUIT KHMÈRE)
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Nocturne, retour, mère morte. Extrait d’un manuscrit inédit de 108 textes et 108 photographies. Dâh, en khmer, signifie le sein, mais également dénouer (les nœuds qu’on a dans la tête), libérer (il s’agit d’abord d’une libération d’éthanol). [Note de l’auteur]. Lire les précédents épisodes.
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80. Tandis qu’un mec rote sa race à côté
C’était bien, A-lys, ça sentait le bois, tu jouais de la vièle invisible, tu me trouvais la nuit, je veux dire que tu la trouvais et que tu me l’offrais, tandis qu’un mec rote sa race à côté
il vieillit, ton fils, tu es restée jeune, il va devenir vieux, ton fils (mais je te retrouverai), tandis qu’un mec rote sa race à côté
en aigrette blanche, je me réincarnais, tandis qu’un mec rote sa race à côté
la femme au petit nez busqué d’oiseau gras pétrifié, des Dardanelles à la superbe Angkor anastylosée, tandis qu’un mec rote sa race à côté
le plaisir de faire l’automate (en état d’ébriété avancé), tandis qu’un mec rote sa race à côté
je vois la tête d’un cantonnier passer à ça d’un camion de pompier, tandis qu’un mec rote sa race à côté
Avine est torse nu sur une plage, il lève les bras en croix, il veut « déraciner les voix », il veut « rendre hommage à la ramasseuse d’épaves », il veut « libérer les sirènes du joug des voluptés passées », tandis qu’un mec rote sa race à côté
il est né à Noyon, Zénon, du coup Varman-Rosée fredonne les dernières paroles du mort en malayalam (et Bob de mourir à son tour, et Archibald d’entendre vagir un nouveau-né), tandis qu’un mec rote sa race à côté
mal de tête because Merlusine apnée, tandis qu’un mec rote sa race à côté
les corbeaux, leurs sales gueules d’insistance, approchent, croassent, avec leurs sales gueules d’insectes nécrophages, leur but : te gâcher ton souper, tandis qu’un mec rote sa race à côté
j’ai traversé la langue française, j’ai l’impression, parfois, quand je lis un auteur, j’ai l’impression d’être passé par là, il y a longtemps, je reconnais la cuisine, mais je n’ai pas laissé grand-chose à manger, tandis qu’un mec rote sa race à côté
à l’arrière d’une moto, quatre poussins reliés par les pattes, ils sautent d’un carton et s’écrasent contre la chaussée, tandis qu’un mec rote sa race à côté
plantations de Munnar, j’adore le mot brûlerie, je me précipite, je mords avidement dans les feuilles de thé, tandis qu’un mec rote sa race à côté
Amazonie, Arichuquichín (dans ma tête), une belle trouée dans la forêt, six heures de route (j’en attendais deux, je ne sais plus pourquoi, peut-être la fièvre), cette différence de quatre heures, ce n’est rien dans un voyage aussi long, aussi lent, mais voilà que des géants balafrés montent dans le bus, ils ne veulent pas de ticket, une grosse Noire leur dit : c’est le Blanc qui va payer, tandis qu’un mec rote sa race à côté
saturer style, gaver les oies, couper l’sifflet, c’est empoisonner l’autre, c’est piéger les accès, tandis qu’un mec rote sa race à côté
4h52, un coq puis deux, puis un klaxon énorme dans le silence, un chien aboie, musique indienne (elle vient du temple), douce comme une musique de radio-réveil, puis le muezzin (très beau), un deuxième chien s’y met, puis les cloches de l’église, les chiens s’arrêtent, quelques cocoricos encore, la musique indienne sans arrêt, tandis qu’un mec rote sa race à côté
ma petite théodicée portative, le mal, toujours un moindre mal, mais ne pas en parler, ne pas regarder la falaise dans les yeux, continuer de ramer, tandis qu’un mec rote sa race à côté.
82. Ça va deux minutes
Les fourmis dans l’ordinateur, ça va deux minutes
le matelas, l’odeur de sueur, de chiure, de compost, ça va deux minutes
Jim Beam, après un mois et demi, une eau-de-vie caramel, ça va deux minutes
le bébé « gros pâté », « gros Chéri-Bibi », « gros Bouddha », ça va deux minutes
chez Geneviève, les lupins, le soir, dans la pénombre améthyste, ça va deux minutes
moi, ça m’importe, le vieux, j’ai vu à quel point Varman-Rosée avait laissé tombé son ardeur sur la berge, et comment il avait contourné, contourné, ça va deux minutes
le sein, l’oralité, la nénégation de l’écriture, ça va deux minutes
mes pieds sont noirs et secs, ça va deux minutes
dragons stroboscopiques, ils filent le long de la dernière ligne de vaguelettes, ça va deux minutes
le train 12222, prononciation anglo-indienne, one-tou-tou-tou-tou, il s’agit du Pune Duranto, l’express de 8h20, ça va deux minutes
forêt immergée, ça va deux minutes
cet étron bien moulé, c’était un chef-d’œuvre, et la poussée aussi était un chef-d’œuvre, ça va deux minutes
le maître Saint-Saëns et les musiciens khmers à l’Hôtel du Sud, ça va deux minutes
Lady Lou, ça va deux minutes
musaraigne, ça va deux minutes
coupure d’électricité, les gens intrigués par ma lucky box, ça va deux minutes
matin, hamac, balcon, soleil, après avoir rêvé du pays d’Élam, je me rends compte que j’ai les palmiers du pays d’Élam devant moi, et les gens du pays d’Élam, les femmes à peau brune avec une cruche sur la tête et des anneaux d’or aux chevilles, ça va deux minutes
cette plaie balano-cérébrale, ça va deux minutes
gonflé de la vanité la plus, ça va deux minutes
je me lève tôt, bruits dans les arbres, des macaques s’approchent de Macquet-la-barbe, ça va deux minutes
naissance d’Avine, fermentation, mauvais, roussi, forme journal, ça va deux minutes
Zénon épouse Aïcha, une princesse indo-musulmane (ça fait rêver), il lui bâtit un pavillon magnifique, aujourd’hui ruiné, ça va deux minutes
les grands livres sont débordés, dit-il avec autorité, parce que les puissances qu’ils affrontent, ça va deux minutes
Gotham me dit : j’ai vu un mec, c’est ton sosie, ça va deux minutes
marvladinzinparc, ça va deux minutes
beaucoup de prostituées cuites assez jeunes (tétons mous cruciformes), ça va deux minutes
revu petit oiseau, tête verte et corps rouge, ça va deux minutes
le réel très fade et très vif, ce que vous percevez, là, pendant que je vous parle (c’est une manière de parler), pendant que vous vivez (veinards) et que je suis aussi mort qu’une blatte écrasée, ça va deux minutes.
83. Je suis allé au bout de mon enfance
Ravine-Édesse
morphine
vierge-otolithe au cou des aînés
faire le mort quand on est vivant dans l’espoir d’être vivant quand on sera mort
une vie, comme ça dévale
confire sa pensée pour la conserver
comme pour les salaisons (les microbes n’aiment pas les saturations
Ophélie encroûtée
frpper (je sagne) amériain ttoué, trainboum
ne pas étouffer nos enfants de bonté avant qu’ils n’aient giclé dans les rhododendrons en fleur
un rickshaw écrase la patte d’une chienne (visiblement dominante), dans une ruelle, cris déchirants, et tout de suite assaut d’une meute rivale qui a senti la faiblesse, mais réaction foudroyante de la chienne et de ses alliés, elle va bien merci
les post-pleureuses
jouer du pipeau, célébrer l’être, mais au hasard, au petit bonheur, à l’ombre d’un arbre, n’importe lequel
Élina de Piplé, brahmane, étudiante, a senti la secousse
mémoire de morue
vérifier que ça tienne la route par rapport à Robin Friday.
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