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[ɗɑh]
(DANS LA NUIT KHMÈRE)
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Nocturne, retour, mère morte. Extrait d’un manuscrit inédit de 108 textes et 108 photographies. Dâh, en khmer, signifie le sein, mais également dénouer (les nœuds qu’on a dans la tête), libérer (il s’agit d’abord d’une libération d’éthanol). [Note de l’auteur]
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1. Avine revient – Phnom Penh, juin 2016
Alors Avine a continué sa route.
Le narrateur écoute le vent du soir frissonner dans les palmes.
Vasières
littorale se décomposait
aidé par un indicateur vénal, monsieur Varman-Rosée, sourire-cicatrice et gencive violette
alors Avine a continué sa route, narra narrativement le narrateur, qui stoppa là tout net, se mit à écouter avec une intensité extraordinaire le vent du soir frissonner dans les palmes, puis abandonna son hamac, fit rapidement son sac et s’en fut dix années tout raide et sautillant sa rouquine carcasse de l’autre côté de la Terre, additionnant les silences et les kilomètres, stupéfait avec de grandes jambes, immobile et déambulant sa fièvre de l’être, dehors, dehors toutes ces années, grandes jambes, grande fièvre, tout anonyme, désespéré, tout raide et gambadant sa violente obscurité, comme Héraclite-Falaise, dans les déserts, dans les montagnes, dans les forêts, cargo, moto, silo, zéro, dodo, sous le ciel étoilé, dans les avions, dans les batteuses, juste à côté, dans les insectes, dans les toisons, dans les éviers, dans les trous sans narrer, dans les crevettes et les pistons qui lui criaient : pauvre Archibald, tu ne feras jamais ta rentrée !
Pendant ce temps, le pauvre Avine, abandonné à lui-même, avançait comme un clou au milieu des cellules.
Il rêvait comme un roux et fumait comme une roue
il pensait comme un trou et respirait comme un pou
il buvait glou-glou-glou (dans la mangrove).
Le sein de l’absolue beauté (dans la zone de balancement des marées)
le sein de l’absolue pauvreté (dans la zone de balancement des marées)
le sein de la maladie
le sein de la mort.
Esprit-de-vin (matériaux côtiers brassés par les vagues)
esprit-de-sein (matériaux côtiers brassés par les vagues)
esprit-de-rien
esprit-de-revient.
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2. Ça ne dure qu’une nuit
L’idée d’un chant, d’un chant d’avant, on y parle d’une femme mystérieuse
une femme aux seins de souffle
vingt lieux
fleuve ? or ?
dépossédée d’elle-même
ce fut si bon (dit-on) que tu restas sans nom
berceau de feuilles
guirlandes de fleurs
après des années d’errance infertile
Varman-Rosée
le gros Varman-Rosée
l’épouvantable Varman-Rosée
une princesse en exil
la petite malheureuse
je suis un désastre nomade
palmiers
buté
éloge de la lenteur
éloge de l’obscurité
haine du pouvoir
sous toutes ses formes
ni le subir, ni l’exercer
jamais
rester vautré sans tête avec la bête-à-lune
avec la bête-à-pluie
avec les orphelins troués
avec les pauvres de signes
avec les impétrants sans rive
avec les peuples-enfants qui font des rêves de géants
avec leurs chants d’humilité puissante
avec leurs cercles d’oubli régénérateur
loin des caméras, des récits majeurs
loin de ceux qui s’abritent derrière les hauts murs
les Immortels
sortir
se consumer
avaler sa langue
devenir réel
ça ne dure qu’une nuit.
Avine emprunte un vieux sentier muletier
la pente est raide
le soleil lui cuit la cervelle
il veut gagner la crête
il sait que là-haut il y a les condors.
Archibald et la ligne inconsciente
deux cents parmi
baisser le store
l’incinémacération sans terroir
riait sa rouille
Mutus liber (entre deux secousses étrangères)
ça y est, le gin me reprend
antigraine et Byzance
je reste longtemps avec le chien près du stupa essentiel.
Merci pour l’aube
excusez notre insuffisance.
Je rentre dans ce verre.
Un jour, on dira avec des regrets dans la voix : à l’époque où les gens mouraient.
Course de mob improvisée dans le quartier des Neiges, c’est début mars, dérapage et glissade d’un type à quelques centimètres des chevilles de Varman-Rosée, dans ses pensées, visage ouvert, visage fermé, dans la belle insouciance de son pas sautillé
il se dirige vers le port (Varman-Rosée)
il embarque à bord d’un cargo en partance pour l’Argentine.
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3. Trognin de Sogne
Avine, avec son compagnon de route, Trognin de Sogne
frontière (j’avais tapé fontrière).
Avine, avec son compagnon de route, Trognin de Sogne
les hommes, l’histoire du suicide de Brodel, la femme-sorcière (j’avais tapé soricière).
Avine, avec son compagnon de route, Trognin de Sogne
sueurs froides (j’avais tapé forides).
Avine, avec son compagnon de route, Trognin de Sogne
dans la nuit (j’avais tapé nuti) khmère.
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5. Outre l’oralité
Passer les dernières lignes
ça s’emballe, athanor
le sablier des nuits ingressives
il est revenu là pour mourir
longue agonie d’Archibald
quarante-sept ans, sans peur du ridicule
j’ai pris ma moto Kub, ma Rossinante
les flics peuvent m’arrêter à tout moment
le chien-hyène du parking à motos m’attaque
Pastrick rasconte des crasques
les frax de Pastrick
a lu Prouts
initiation (dans une paillote)
l’alcool, la nuit
maintenant je me rends compte
c’était ventral
les occlusives ping-pong
entrer
sortir
Voyage au centre de la Grosse Adèle
la pompe à béton monte au ciel
Archibald a treize ans
chaque soir, il frappe à la maison d’en face
viens, Gilles, sortons, la vie est courte
sortir la nuit
peau-grenouille et langue inconnue
veau marin (un verre de gin à la main)
après la mort de X
langue rouge
langue bleue
retourner sur les lieux où je suis mort avant X
loup
clown
expliquer pourquoi j’aime le mot [ɗɑh]
outre l’oralité.
Brûler son as
brûler sa race
brûler sa grâce
brûler sa graisse
brûler son Grevisse.
Les serveuses fondent
la pompe à béton gémit comme un lamantin
rencontre lors d’une chasse en forêt
la nuit gitane (la nuit sexuelle)
l’image (vers quinze-seize ans) d’un béryl pourrissant
les occlusives pop-corn
sortir
rentrer
les checkpoints et les nains balafrés
la pluie sauvage sur tes joues veloutées
tu reviens du royaume des Momorts ?
royaurme
Varman-Rosée
j’ai pris ma moto Kub
ma Rossinante
gyrovoguer
pseudépigraff’ sur la lèpre du mur d’à côté.
On avait pourtant un devoir de réserve
ne pas l’ouvrir
ne pas faire le malin devant les Grands Trucs.
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6. Réinjection
La nuit, plongé dans l’obscurité, Archibald photographie ses propres photographies défilant sur l’écran d’un ordinateur.
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À suivre…