Par Franco Buffoni.
Traduit de l’italien par Guillaume Condello. Lire le premier épisode.
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Poètes
Moi aussi, alors que, la nuit,
Je contemple depuis Gignese
Les bonnes manières du lac Majeur
Son calme désespoir,
Je pense que j’abandonnerais
Volontiers la métaphysique aux chiromanciens
Et les sermons sur l’éternité
Aux horlogers :
Les poètes couraient les places
Disait-on, aujourd’hui ils allument
Des éclairs nocturnes, dans les réseaux
Ou sur papier, ils ne se soumettent plus.
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Code Verlaine
Non ne sommes pas encore partis.
Parce ce n’est que dans les bandes-dessinées
Que Clarabelle peut sauter par-dessus la barrière,
Toi, vache normande, tu t’y frottes le museau
Et le vent passe son chemin.
Où est cet automne que je voulais,
Le dernier automne, avec son escalier de pierre dans l’abbaye,
En ce mois de juin plein de rafales de pluie ?
Où est caché ce Fall avec ses swallows
Où, la saison des brouillards sur les bruyères ?
De temps en temps, s’étire
Ma petite terrasse à Elseneur,
S’y étendent les draps lessivés par un personnel
De maison autarcique, il n’y pas de blanchisserie,
Pas de services devant le débarcadère.
Le prix de tout cela est très élevé
En termes de fatigue nerveuse ;
Très bas, en termes d’allégeance et de solidarité,
Etant donné le peu d’utilité des nouvelles.
Porcelaine cire à cachet lapis-lazuli,
Je veux participer au destin des peuples
Qui se font, non à leur vaste décadence,
Ai-je envie de m’écrier, en pensant
A l’automne, en dernier recours,
Aujourd’hui, le quatre juin 44.
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La mort d’Alexandre
Seul celui qui s’est retrouvé face à la porte
Derrière laquelle on torture un homme
Qui ira seul à la mort
Connait véritablement le sens de l’absurde,
Disais-je un soir à Alexandre
Qui me raccompagnait à la gare de Milano Centrale
— c’était une citation d’Hermann Broch.
Nous parlions de la mort de Regeni*.
Maintenant, j’entends presque descendant du ciel
Le faible grognement des anges les plus vieux,
Pendant que les plus jeunes murmurent
Mais certains haussent le ton
Tandis que les grands candélabres et les cierges tremblent
In excelsis, entre la Vertu et les Princes…
Quitter la vie, si les dieux existent,
Ecrivait Marc-Aurèle dans les Pensées
N’est en réalité pas chose abominable,
Puisqu’il est impossible qu’ils te veuillent du mal ;
Et s’ils n’existent pas, ou s’ils ne s’intéressent pas à nous,
A quoi bon vivre dans un monde
Sans Providence et sans dieux ?
Je ne crois en aucun dieu, Alexandre,
C’est pour cette raison que je te sais
Dans cette île du nord d’Ortygie
Qu’on appelle Syros à cause du soleil au couchant,
Terre bénie où ce n’est qu’à un âge avancé
Qu’on meurt
En un éclair, par la douce flèche d’Apollon
Et sans éprouver de douleur.
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* Giulio Regeni né le 15 janvier 1988 à Trieste en Italie, est un étudiant de l’université de Cambridge, torturé puis assassiné en Égypte après son enlèvement le 25 janvier 2016 – probablement par le gouvernement égyptien, incommodé sans doute par les recherches sur les conditions de travail et le positionnement politique à gauche de Regeni.
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Frise double…
…pour le moment où, avec mon corps venu du vingtième siècle
Je serai une épave, au milieu des adolescents
Des classes de l’an deux-mille douze, ou treize,
Comme Caproni et Sereni, des classes belliqueuses.
Ici comme ailleurs, une vieille hyène, de passage.
Ensuite, prendre le thé avec Christine de Pizan et Hildegarde de Bingen
Servi par Jacques de Voragines,
Aliénor d’Aquitaine et Blanche de Castille dans le petit divan à-côté.
Puisque – comme est douce au marin l’entrée au port,
Frise, frise double, double frise double,
Comme est douce au calligraphe l’écriture du dernier verset,
– le Frère Augustin, à San Gimignano, écrit et enlumine
En ce dernier jour de février de l’année 1299.
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