Premier jour d’automne. Sous le vieux poirier qui donne, d’après la fille d’Orietta, d’abondantes et goûteuses Louise Bonne, nous sommes attablés, en fin d’après-midi, devant le panorama où siège Manse. Lent et progressif figement des choses. Le soir a ses couleurs. Cette impression assez poignante, mâtinée d’un soupçon de mélancolie, chaque fois que vous vous retrouvez dans ces circonstances, très vite raillée, taillée par l’ironie subséquente qui en est la conséquence logique.
Le Puy s’éteint vers dix-neuf heures, avalé par l’ombre remontante. Interruption du faisceau, Ceüse et consorts en coupent soudain les rayons. Le soleil est bas et va descendre encore un peu avant de disparaître. Seules, les hautes montagnes, derrière, profitent à plein des derniers feux.
Devant et autour, la prairie demeure, fleurie, fournie, et, si ce n’était le vacarme automobile, route des Eyssagnières, dû au contournement du centre ville, nous serions bien, au coin du pré, à l’angle du gîte, dans cette ambiance tout à fait champêtre, attendant que s’évanouissent toute preuve formelle,
tridimensionnelle.
Dans l’orbe du vieillard,
Du vieil arbre moussu et lichéneux,
Le Puy, dans l’échancrure
Entre deux fronces,
____________________– Collines et feuillages –,
Fonce, noyé d’ombres épaisses, « trois fois bossu ou rebondi »,
Comme il est dit, ailleurs, dans un précédent livre
— Trois pyramides imbriquées,
L’une
_______dans l’autre
____________________dans l’une,
Instaurant l’enchaînement légèrement
Dodelinant des trois modestes sommets,
En enfilade CAPITALE.
La FORME, bientôt anuitée
Par le couché du .
___________________Ce crépuscule du Puy qui nous occupe,
Ici, à la minute, tandis que rougeoie
Un de ces cumulus solitaires
Embusqué derrière ou
Très au-dessus.
La montagne, par conséquent, éteinte,
Le couloir dégagé jusqu’à son faîte,
Découpe de plus en plus succincte,
Ou, autrement dit, l’écriture aspirée
Par la trouée, l’axe de la vue,
________________________________ou de la visée,
Traçant une perspective qui irait, naturellement,
Du POIRIER au PUY,
_______________________ligne visible obliquante,
Passant par-dessus la clôture du champ,
Puis franchissant l’échancrure,
Sautant le sillon de Gap,
Pour toucher, après la douce remontée méridionale,
Les pentes du Puy,
______________________dont tout le haut, à l’instant,
S’éclaire (comme si le soleil
Venait, pour nous et tout à coup,
En coiffer la tête),
_____________________Instaurant une zone de partage nette
Entre l’ombre et le grège
Que dore la lumière déclinante.
Tu dérapes et radotes, comme grevé par la rature ininterrompue de la circulation, dont le bruit pollue l’alentour autant que l’allant. Besoin urgent d’avancer, de marcher vers la montagne. Travelling-piéton jusqu’à la clôture, à l’extrémité du champ (le Puy morne, affadi par l’indistinct, bientôt ré-englouti). Se retourner sur le cube de la maison, la petite table où nous avons bu et pris ces notes, la cime du poirier aussi haute que celle du toit, la Photographe toujours affairée autour de la grange.
De là, poursuivre jusqu’au bord de la parcelle (un chemin de terre descendant en marque le terme), puis, se déplacer en direction du grand arbre majestueux (chêne ? acacia ? tremble ?), pour le saluer et le nommer (ne l’identifiant pas, il est pourtant énorme), avant de revenir sur ses pas.
Autant dire, sur ceux de Manse. Le vert-de-gris des courbes mollassonnes. La chose qui n’en finit pas de ternir, bientôt couleur étain, comme son écho ou son faux-ami le dit (« éteins ! »), et, malgré tout, la persistance de la forme « Puy de Manse », longtemps encore, en dépit de la fin du jour depuis longtemps annoncée, et déjà bien amorcée, sans que pourtant le trafic routier n’ait décru.
Constatant, juste avant que la nuit ne tombe, combien le vert du pré est resté lumineux, comme s’il avait emmagasiné des réserves de lumière et que, par un phénomène diffus de luminescence, il en rétrocédait peu à peu la clarté.
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[prose, 6 – Midi, dans l’Adrech]
[tenir la note, 6 – L’Ouragnatte, 15 avril]
[chant six – Les hauts de Gap]