Les Eyssagnières

Par Olivier Domerg

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Le même arbre
(piafs sautillants et fleurs fanées),
où point déjà
______———__le vert tendre
minuscule de
la feuillaison annoncée.

Manse éteint,
Dans la pâleur de brume,
Dans la chaleur montée
Et l’indistinction du matin.

Tour d’horizon ou de tête,
Du bleu à senestre sur Charance dégagée ;
Et devant, ce bleuté-blanc, dans le lointain
Où la montagne a faim de netteté
Et de soleil cru.

Malgré le voile prude
Qui opacifie et encrasse toute cette zone,
C’est tout de même lumineux
(Du fait du soleil
___—————_____et que ça se soit levé) ;
Lumineux, mais vicié :
Quelque chose parasite la vision
Malgré les oiseaux
De différentes espèces, la météo clémente
Et le printemps installé.

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Décanter n’est pas forcément déchanter.

Désécrire le poème quand il vient. Jalonner son chantier d’inscriptions citations injures ou de formules prétendument définitives. Vouloir que Manse soit le lieu d’une bataille au long cours, d’une empoignade homérique et prosaïque, d’un règlement de conte poétique et alpin. Et, chaque matin, à heure dite, se retrouver sur le pré, pour, dans l’intervalle et l’instance du présent, enregistrer tout ce qui survient, séance tenante, fragments de temps, bribes de chant, pans « de mont et de monde ». Pour consigner l’inconsignable, stigmates du sol, mouvements invisibles, géologies intérieures, pluralité (rurale) du réel, de même que cet « infini détail du fini ».

Faire syntaxe de tout.

Vouloir que Manse soit le lieu
du décollage des phrases,
__________-_________________de leur décalaminage ;
le lieu où se réduit de manière radicale
leur décalage consubstantiel.

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Vouloir que Manse soit l’épicentre de l’écriture,
la ligne de faille
______-___________entre « poésie » et « poésie ».
Être extrêmement déterminé
à préciser les choses, à les pousser à bout,
pour bien les faire entendre.

Faire syntaxe de tout.

Perpétrer quelques exactions, chutes de registres ou fautes de goût, au passage. Se comporter comme un maladroit, un persiffleur, un soudard, un grossier personnage. Pousser la poésie à la faute, à la sortie de piste ou de virage. L’envoyer sur les rosses plutôt que sur les roses. L’acculer dans ses ultimes ressources et retranchements. « Lui faire la misère » : entourloupes, pied de nez, croche-pattes ; la mettre en cause et en doute ; lui tendre sans cesse des embuscades, dans ce défilé repéré, hier encore, par exemple, au bas de la crevasse, au pied du Puy Immense, au seuil de sa très lente hémorragie, dans son repli le plus intime, le plus interne, comme au plus près de la masse.

Tenir, en cela, une position intenable,
dans la multiplication gigogne des cahiers et carnets,
dans l’étirement et l’épuisement impossible de la tâche,
dans l’approximation fiévreuse d’un style inapproprié,
dans l’autodérision de celui qui, comme dit le sage, « sait ce qu’il ignore »,
et dans le sarcasme constant adressé à l’illusion poétique.

Et, énumérant cela, tout en en gardant autant sous silence et sous le pied, parier sur la finesse de ceux qui ne vous veulent paria ;
____________________________________________lecteurs espérés devenus à ce point minoritaires, capables de sentir et d’entendre encore d’autres souffles et d’autres voix que la basse langue, le brouet standard du livre-marchandise, qu’on nous ressert sans fin/faim, à longueur de pages/langueur de cages ;

et, ayant la patience amusée d’accepter que l’on puisse ainsi déballer son singe mâle en famille, que l’on puisse ainsi bouter le feu à la vieillerie (la sienne et celle d’autrui), trucider la vieille truie fantasque, et piétiner, de mille façons qui soient, le « cadavre de la poésie » ; et, en cela, lucide et sans regrets, d’être prêts à passer, avec ou sans vous, de l’autre côté de la montagne.

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[ Prose – Les Eyssagnières, sur le coup des dix heures ]
[ Tenir la note – À l’ouest, 2 octobre ]
[ chant – Sauron ]

Un commentaire sur “Les Eyssagnières

  1. Il y a des textes que, les lisant en silence comme tout un chacun, je m’entends ‘dire’ dans ma tête, non pas abstraitement, mais de la façon la plus sonore – et audible.
    Oui : une déclamation, à ma façon, à mon usage, et que j’imagine ‘expressive’ au possible, dans toute les variations de ses allures – du point d’où j’ai vue, au moins. (Mais ce n’est pas une diction « façon acteur » !)
    Ce sont ces textes que j’aime. Tel celui-ci.

    J’aime

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